

Le jeu est la chose la plus naturelle au monde. Qui n’a pas vu un enfant jouer ? L’homo sapiens apprend en jouant comme de nombreux mammifères. Quand j’étais très jeune, j’ai joué au Chat et à la souris et j’ai vite compris que je n’étais ni un chat ni une souris. Contrairement à mes voisines, je n’étais pas du genre à promener un chat dans un carrosse de poupées, je préférais faire des constructions dans le carré de sable. J’ai aussi joué au docteur sans être malade ni médecin. J’ai vite compris qu’il y avait des règles, normes et rituels à respecter dans le jeu. Plus tard, j’ai joué au hockey sur table et sur la patinoire du voisin l’hiver. Parfois de longues parties de Monopoly* et bien sûr les jeux de cartes. L’été était surtout consacré aux pichenottes dans la cour achalandée des Durand. Les jeux de ballons, la bicyclette, le branch et branch. Très jeune, mon père m’avait enseigné le jeu de dames. Il m’a même enseignée à jouer à qui-perd-gagne et il riait. Adolescente j’ai joué aux échecs et adulte je me suis intéressée au jeu de GO. Quant à ma mère, elle a joué au scrabble jusqu’à 92 ans. Enfin, la liste des jeux auxquels j’ai participé est très longue et celle des jeux sur la planète excessivement plus longue. Il serait fastidieux de tous les énumérer. Mais, je peux dire que j’ai fini par pressentir que l’homo sapiens est un joueur, un homo ludens comme Johan Huizinga a tenté de le démontrer dans sa savante étude, Essai sur la fonction sociale du jeu (1938), en partie reprise par Roger Caillois avec Les Jeux et les hommes(1958). Ces deux ouvrages remarquables suscitèrent de nombreuses analyses, commentaires et critiques au siècle dernier. Mais je doute de leur totale pertinence en 2020 pour comprendre le jeu mondial : la mondialisation du jeu. N’empêche que les ludologues les citent constamment.
Afin de m’adapter à l’évolution fulgurante de la gamification du monde, je me suis mise à m’intéresser de nouveau à la question. C’est en lisant, à l’automne 2019, un commentaire élogieux du livre d’Alexandro Baricco intitulé Le jeu de Baricco** que l’envie de retrouver le fil de mes anciennes recherches m’est revenue. En 1984, c’était les débuts des ordinateurs personnels et l’on peut dire qu’il s’en est passé des choses depuis, tant dans nos vies personnelles que collectives. À l’époque j’avais exposé un ordinateur dans une imposante installation, au Musée régional de Rimouski, intitulée Le Jeu de la vie, dans le cadre d’une exposition des enseignants et enseignantes du département des arts du Cégep de Rimouski. Voilà, j’ai retrouvé le fil de cette recherche. C’est parti !

*Le jeu de Monopoly, à l’origine The Landlord’s Game, inventé par Elisabeth Magie en 1903, visait à faire connaître le principe des monopoles dans un but pédagogique. La conceptrice céda ses droits d’auteur, à bas prix, en 1936 à Parker Brother, car l’important pour elle c’était la diffusion du jeu pour éduquer le peuple exploité. Le jeu fût détourné de son objectif et devint un grand succès commercial. Aujourd’hui, il existe plusieurs versions, dans divers pays. Ainsi, le jeu de Monopoly a permis à plus d’un milliard d’homo sapiens de s’initier au capitalisme, dont le but du jeu est de ruiner ses concurrents.
** Le Devoir, 12 octobre 2019 par May Telmissany, Le jeu de Baricco