LETTRE À JANE FONDA

Ma chère Jane,
Comme toi, je m’adresse particulièrement aux jeunes personnes ouvertes d’esprit, sans trop de préjugés. Elles ne savent pas que tu embrasas la jeunesse américaine contre la guerre au Vietnam et que tu gagnas ce combat grâce à ton audace et ta détermination. Sans doute aussi par la véhémente énergie de ton éternelle jeunesse au cœur ardent. Tu avais foi en l’avenir et dans ton idéal social. Il faut le dire ma chère Jane que ta beauté extérieure fut un facteur déterminant dans ton chemin de vie. Et que dire de ta beauté intérieure : un champ de bataille en recherche constante d’équilibre. Chapeau ma belle amie. Tu ne lâches pas. Genre « scout un jour scout toujours ».

Que savent-ils les jeunes des années 70 ?  Nous savons bien que personne n’avait intérêt à diffuser, plus qu’il ne fallait, ce retrait humiliant de l’Empire américain du Vietnam, après l’échec des Russes. Tu t’es fait des ennemis Jane, certains te croyaient traitre à l’Amérique alors que tu voulais tout simplement et  innocemment son bien : la fin à la guerre !  

Je souhaite que la jeunesse  du monde entier sache ce qui se passe présentement aux États-Unis dans l’actuel combat déterminant pour l’avenir de l’humanité. Malgré ta notoriété Jane, nous savons bien qu’on ne peut trop miser sur les médias officiels pour diffuser ton ULTIME COMBAT. Si j’étais encore dans la librairie je mettrais des piles de tes livres en évidence. Le livre d’une belle grand-mère ça ne peut faire peur à personne et ça se donne bien comme cadeau de  Noël. J’aime le titre. Que faire ?  Une belle idée !  Le sous-titre est clair : Du désespoir à l’action, sauvons la planète !

Il existe une volumineuse documentation du GIEC que personne ne comprend et les résumés pour les journalistes passent entre deux publicités. Alors que toi, tu mets le doigt sur l’essentiel avec des experts de divers domaines scientifiques et des militants et militantes. De plus, tu t’adresses à un large public.

ll y a longtemps que tu es sensibilisée à la question écologique. Dans les années 70 vous étiez bien en avance intellectuellement et spirituellement à Esalem. Tous les intellos avaient les yeux braqués sur la Californie en pleine effervescence. L’Orient et l’Occident se rencontraient dans ce lieu de convergence. L’écrivain Alessandro Barrico décrit cette période ainsi : « Sur dix personnes qui voulaient tout changer, cinq défilaient contre la guerre au Vietnam trois se retiraient dans un ashram et deux passaient leurs nuits dans des départements d’informatique à inventer des jeux vidéo ».

Jane, mon intention est de te faire connaître parce que tu es consciente que c’est ta notoriété qui te permet d’avoir une action aussi efficace et courageuse. J’insiste sur le fait que tu es pacifiste, anti-raciste, féministe et que tu  vises la justice écologique. Tu as même financé le mouvement anti-racisme par la vente de tes fameux livres d’exercices physiques qui faisaient rêver des millions de femmes. Passons vite sur la notion du corps idéal, nous avons d’autres chats à fouetter. Quoi qu’il en soit, tu lanças la mode d’un esprit sain dans un corps sain. L’idée c’est qu’il faut bouger ! Physiquement et mentalement.

Imagine-toi donc ma chère qu’en cherchant une photo de cette époque j’ai appris sur internet à quel point tu innovais avec ton livre et tes cassettes. Nous les vendions à la Librairie Vénus de Rimouski. C’était « in » à l’époque la recherche sur la relation corps/esprit. Esalem avait porté fruit. La Californie était alors le caravansérail de jeunes cerveaux créateurs : un melting pot d’électrons libres. Alors ma chère Jane, voilà ce que l’on dit de TA Méthode.

« La danse  aérobique est un concept relativement récent, élaboré à la fin des années 60 par le docteur Kenneth Cooper, médecin de l’air à la NASA. Mais l’engouement pour le conditionnement physique a réellement pris son envol avec la publication, en 1982, du livre et de la vidéo de Jane Fonda intitulé  Ma méthode. L’arrivée des lecteurs vidéo signifiait que les femmes pouvaient mettre une cassette dans l’appareil et faire une séance d’entraînement dans leur salon. »

La  période de ta vie avec ton deuxième mari fut un intervalle militant dans ton militantisme. Une période de formation en logistique émancipatrice. Tu apprenais la complexité des luttes sociales à travers tes multiples manifestations et tes nombreux films. C’est à partir de ton livre accrocheur Ma méthode (vu en librairie, qui m’avait rappelé ton film Barbarella ) que j’ai commencé  à m’intéresser à ton parcours de vie. J’ai observé les réflecteurs posés sur toi, de Hanoï à Washington. Maintenant j’ai une bonne idée de tes multiples séparations et déchirement, de tes multiples rebondissements et recommencements ainsi que de tes incessantes recherches. Tu es idéaliste Jane, une star ou une vedette inspirante pour les rêveurs lucide et actifs.

Avec sa partenaire de jeu Lily Tomlin dans
la série Grace et Frankie sur Netflix.

Aujourd’hui tu es une belle vieille dame très digne, qui continue à jouer la comédie dans la série Grace et Frankie. Tu fais sourire ma génération car tu fais sauter des tabous. Tu réinventes la Barbarella de ta jeunesse. Toujours coquette, partiellement reconstruite, ton esprit demeure jeune, allumé et aimant, avec une pointe d’humour. Tu as tant vécu, mené tant de combats. Ton chemin de vie dans le monde du cinéma est toute une épopée. Tu persévéras dans l’univers cinématographique alors que Brigitte Bardot, autre sex-symbol, s’était retirée des projecteurs dès 1973. Elle avait lancé le slogan Canadiens/assassins dans son combat pour protester contre la chasse aux phoques. Tu te souviens de la suite, 30 ans plus tard Harper refusa de la recevoir. Quant à toi, les experts en marketing politique jugeront que ce serait excellent pour l’image de Justin de te recevoir, habillé en Géant vert. C’est bien connu qu’il aime se costumer.   

Pour revenir au film Barbarella de 1968, produit par ton premier mari, le français Roger Vadim, je peux te dire qu’il m’a fait  écarquiller les yeux, pas pour rire, comme tant d’autres personnes de ma génération. Tu étais devenue un sex-symbol de Mai 68. Était-ce possible d’être si libre ? Ce film de science-fiction peut faire sourire aujourd’hui, mais pour l’époque c’était très audacieux.

Jane Fonda en Barbarella

C’est l’année suivante avec le film On achève bien les chevaux, que ton talent fut reconnu internationalement. Ce classique de l’histoire du cinéma révéla que le sex-symbol de l’année précédente était une grande actrice. Déjà en 1970, grâce à ce rôle,  tu avais conscience des ravages de la crise économique de 1929. Le film en question en révélait une triste facette. C’était l’époque de la Grande Dépression, la misère était partout et tu incarnais l’une de ces danseuses qui s’épuisaient à danser toute la nuit pour gagner un prix. Tu étais, sans doute sensibilisée au fait que c’est le New Deal (1934-38) du président F.D. Roosevelt qui sauva l’Amérique, en fait les États-Unis. D’après la théorie économique du ruissellement, on peut dire une partie du monde dit «  libre ».

Jane Fonda dans On achève bien les chevaux, 1970, de Sydney Pollack

Ton célèbre père Henry Fonda avait déjà joué dans un film qui illustrait la Grande Dépression : Les raisins de la colère. Ce classique du cinéma inspiré du célèbre roman de John Steibeck t’a sans doute inconsciemment sensibilisée à la détresse humaine alors que tu n’avais que dix ans.

Le père de Jane, Henry Fonda dans Les raisins de la colère, 1940, réalisé par John Ford

En 1981 dans le film La Maison du lac, tu as joué la réconciliation avec ton père peu de temps avant sa mort. Il faut bien admettre chère Jane que ton destin n’est pas banal.  

La Maison du lac avec Jane Fonda, Henry Fonda et Katharine Hepburn.

Jane, je termine cette brève sélection de films marquants de ta carrière en te rappelant Le retour qui te valut un Oscar en 1972. Tu incarnais alors l’épouse d’un vétéran de retour du Vietnam. Le film illustrait les ravages de la guerre. Tu devenais cette femme qui devait choisir entre son mari de retour et son nouvel amoureux  tétraplégique revenu lui aussi du Vietnam. Dans le choix de tes films tu expérimentais une diversité de sentiments humains qui devaient te torturer l’âme et les boyaux, tout comme tes choix amoureux dans ta vie réelle. L’idée du choix, tu connais cela. Chose certaine Jane, ce film démontre une cohérence avec ton engagement contre la guerre et toutes les souffrances morales et physiques qu’elle provoque.  

Jane Fonda dans Le retour, 1978, réalisé par Hal Asby

Présentement, malgré tes quatre-vingts ans passés tu penses que l’humanité n’a pas d’autre choix que d’essayer de se sauver malgré l’immense défi du climat et de la pollution. À nouveau tu oses te lancer dans une dernière Grande Aventure. Cette fois-ci avec maturité et stratégie en comptant sur tes multiples amis et réseaux que tu as tissés au fil des ans. Tu me fais penser  à  David et Goliath. Tu n’as pas changé, tu conserves la ferveur de l’éternelle jeunesse belle amie.

Tu connais sans doute cette célèbre légende biblique qui inspire les héros et les héroïnes depuis les temps anciens.  Le jeune berger  lutta contre le puissant envahisseur philistin, le géant Goliath. Face au géant, le petit David n’avait que ses six pierres et il réussit à tuer le géant parce qu’il savait où viser, comment viser et qu’il visait juste. Il avait la foi qui déplace les montagnes. Cette Force qui vient avec la Foi c’est la grâce que je te souhaite chère Jane. Si tu échoues personne ne t’en voudra. Tu feras partie de l’Ancien Temps comme nous tous et toutes. Et si tu réussis à rétablir un peu de justice climatique tu deviendras la Divine Jane Fonda au Panthéon des sauveurs de l’humanité. Tes films reviendront à la mode dans les ciné-clubs et quand les jeunes découvriront à quel point tu étais et tu es une femme libre, tu redeviendras une icône et ta méthode pourra se vendre comme des petits pains chauds pour subventionner tes œuvres. Je blague à demi.

La toute jeune Jane Fonda et l’actrice et militante Sara Montpetit qui incarne
Maria Chapdelaine dans le film de Sébastien Pilote.

L’incertitude de l’avenir laisse place à de multiples scénarios imaginaires et fantaisistes.

Pour l’instant au Québec, l’icône qui revient pour un 4e film c’est Maria Chapdelaine. Cela te donne une idée de l’imaginaire québécois de souche ou l’imaginaire de souche québécoise. Cette Maria est aux antipodes de ton chemin de vie, pourtant elle continue d’inspirer les créateurs et créatrices d’aujourd’hui. Sans doute que le dilemme du choix de Maria touche toutes les générations et que cette notion se joue différemment à diverses époques, cultures et milieux sociaux. Chaque génération puise dans un film l’eau de la couleur de ses espérances. C’est ça le cinéma !  Tu en sais quelque chose.

 Je n’en reviens pas de voir à quel point tu es engagée dans diverses associations. Tu m’éblouis. Tu vises la JUSTICE ÉCOLOGIQUE qui est nécessairement globale. Tu  vises haut. Genre Teilhard de Chardin incarné dans le présent et non à la fin des temps. L’Oméga c’est pour demain. Dix ans annonce le GIEC. Tu ressens l’urgence climatique, c’est pourquoi tu as sauté dans le train en marche. Dans ce mouvement militant le Green New-Deal tu transcendes les religions, les classes sociales, les cultures et les âges en fonction de  ton idéal humain.  Tu incarnes l’universalisme et cet idéal de Liberté que représente la fameuse statue offerte par la France à ton Amérique. Toi, et de nombreuses Franco-américaines avez électrisé des foules. Vous rendiez le spectacle de la vie de l’homo sapiens dynamique, vivant, imprévisible, touchant et souvent amusant. De vraies stars. Votre chemin de vie vous amena à vivre sous de puissants projecteurs et vous avez bien joué vos rôles à la face du monde.

J’ai beaucoup aimé l’aspect personnel et intime de ton écriture. Intime et instructif, qui inclus ta famille, tes amis et amies et les médias dans le projet.  On te suit, du début du processus où se fait le Déclic qui t’amène à acheter, en vente, ton emblématique manteau rouge. Il commence à faire frais, il peut pleuvoir. Il faut penser à tout. On suit ton cheminement, ton questionnement, tes doutes, l’évolution et la construction du projet. Est-ce que cela va fonctionner ? Où camper à Washington ? Et mon petit chien qui est malade ? Quels groupes répondront à l’appel ? Comment respecter mes contrats en Californie ? Quels amis et amies seront là ? Qui m’accompagnera dans cette désobéissance civile ? De fil en aiguille, le projet Vendredi Alerte Incendie se met en place en trois semaines. Incroyable !

 Tu es devenue spécialiste de la désobéissance civile ma chère. C’est l’histoire de ta vie. Après Jeanne d’Arc, l’histoire retiendra Jane Fonda ex aequo avec Joséphine Baker. Deux femmes engagées socialement qui ont fait éclater les limites de la conscience ordinaire. Mais cette fois-ci, cette désobéissance est vraiment consciente.

Désobéissance civile

Je te comprends. C’est tellement long de faire évoluer les lois pour qu’elles correspondent à la réalité et à l’idéal de justice. Je le sais et tu le sais.  Ce véritable champ de bataille qu’est la conscience, ce lieu où se joue notre libre arbitre qui nous force à choisir et à dire « Je le jure, je le veux ou je ne veux pas, en mon âme et conscience ». Cette délicate question de désobéissance civile qui remonte au « Tea Party » touche à cette fibre morale qui mérite réflexion. C’est judicieux de l’avoir bien expliqué dans le  livre à l’ANNEXE B. C’est l’histoire de l’Amérique la désobéissance civile, « elle incarne le meilleur de l’Amérique » selon la directrice de Greenpeace aux États-Unis.  Dans ce pays de cow-boys, les luttes syndicales, anti-racistes et féministes furent et demeurent encore épiques. Le texte en donne de multiples exemples. Tu sais tout cela et à 83 ans tu savais que le party en prison serait moins distrayant que dans ta jeunesse.  Et tu l’as fait ! Chapeau !

Arrestation de Jane Fonda dans sa jeunesse

Nous sommes nombreux et nombreuses à partager cet idéal de Liberté, Égalité, Fraternité. C’est très chic de se définir dans la filiation des Lumières, mais contrairement à tant d’individus qui partagent intellectuellement l’idéal, toi tu veux l’incarner. Tu veux réaliser l’idéal. C’est ce que tu as fait toute ta vie avec ton corps. Maintenant, à 83 ans, tu es prête à laisser pousser tes cheveux blancs. Coquetterie de grand-mère qui vécut ce chemin de croix de quatorze «  Vendredi Alerte Incendie » (Five Drill Friday). Emprisonnée  quelques fois, tu étais consciente d’avoir un traitement privilégié grâce à ton excellente avocate, mais tu les as tout de même passé ces quelques nuits en prison ma chère. Ta petite fille aussi. Elle a eu un choc moral, cette jeune fille qui voulait appuyer sa mamie dans son ultime combat et qui avait choisi innocemment d’être emprisonnée pour la noble cause. Finalement, elle s’est retrouvée dans une cellule avec une jeune fille provenant d’un milieu sordide qui n’avait jamais voulu être là. Matière à réflexion pour ta petite-fille, n’est-ce pas ?

Plusieurs diront que tu n’es pas dans la misère et que tu peux te payer de chics hôtels entre tes jours de prison. Cet argument ridicule n’enlève rien à l’exigence de ton projet. Ta richesse, ta célébrité, ton intelligence t’ont justement permis d’aider de multiples causes sociales. Nous savons bien Jane qu’il ne suffit pas d’être riche pour être généreux, c’est bien connu.

Je ne résumerai pas le livre auquel participèrent de nombreuses personnes qui adhérèrent au projet initial. Mais il faut se rappeler que cela se passait pendant que Trump était au pouvoir. Pendant cette horrible campagne électorale tu n’as jamais cessé d’inviter la population à voter du bon bord. Idéaliste Jane qui croit encore à la  démocratie alors que cette foi politique est en perte de vitesse dans de nombreux pays. Par contre, dans certains pays on est prêt à se battre et à mourir pour cette fameuse ou fumeuse démocratie. Nous en sommes là.

J’ai bien aimé la structure du livre Jane et les résumés des conférenciers et conférencières sur les thèmes choisis pour chacun des vendredis.  Pour revenir au Déclic, c’est le livre de Mélanie Klein que tu lisais à Esalem qui t’a allumé : Plan B pour la planète : Le New Deal vert. Dans cet ouvrage tu as compris la psychologie de Greta. Deuxièmement tu as apprécié la clarté du livre sur les conclusions du GIEC. Finalement le troisième aspect du livre qui t’a propulsé dans l’action c’est que la résolution de la crise climatique et la pollution passe par la justice sociale. Cela veut dire: il y a des procès en vue et il y en aura d’autres.

C’est dans ces joutes judiciaires que se jouera une partie du futur. Par conséquent j’arrive à penser que les avocats et les juges auront du pain sur la planche pour quelques siècles. Suite au cycle historique des religions qui déterminèrent les règles du jeu social c’est désormais le DROIT national et international qui prend la relève.

Selon les curiosités et intérêts, chaque lecteur et lectrice peut s’orienter vers l’un ou l’autre des chapitres. Sauf les deux premiers, Le déclic et Le lancement,  les autres chapitres correspondent aux diverses conférences qui étaient présentées la veille de chacune des manifestations des Vendredi Alerte Incendie :

  • Le déclic
  • Le lancement
  • Le Green New Deal
  • Les océans et le changement climatique 
  • La guerre, l’armée et le changement climatique
  • La justice environnementale
  • L’eau et le changement climatique
  • Le plastique
  • L’alimentation, l’agriculture et le changement climatique
  • Le climat, les migrations et les droits de l’homme
  • Les emplois et une transition juste
  • La santé et le changement climatique 
  • Les forêts et le changement climatique
  • Comment mettre l’industrie fossile face à ses responsabilités 
  • Stop aux financement des énergies fossiles
  • Vendredi Alerte Incendie : et après, par Annie Leonard.

J’aime beaucoup les nombreuses photos du livre parce qu’on y observe une diversité d’intervenants et d’intervenantes, de différents milieux, différents âges, différentes cultures. Il y a de la place pour l’univers entier dans ton projet et dans ton cœur. Mais tu demeures les deux pieds sur terre quand tu écris :

« On doit voir que leur problème est notre problème. Ce n’est pas juste de l’altruisme, c’est aussi dans notre intérêt, en réalité ».

Hans Selye n’aurait pas dit mieux. Après une vie de recherche avec ses rats pour étudier le stress, il défend lui aussi l’idée d’altruisme égoïsme.

Je t’embrasse ma chère Jane et je souhaite que tes rêves et tes projets se réalisent. Chez nous, nous sommes un peu mélangés avec les wokes. Et l’autodafé des livres n’aide pas la réconciliation. Ça n’avance pas vite. Le principal sujet d’actualité c’est évidemment la Covid. La politique canadienne tu la connais : Un panier de crabes comme ailleurs.

Fais de beaux rêves, continue d’embraser l’Amérique.

Pourtant j’adore le crabe avec un bon vin blanc. Viens faire un tour pendant qu’il y en a encore.

Mise en page: Pierre Durand.
Révision du texte: Danielle Soulières.

INTERMÈDE LUDIQUE

21 tableaux pour 2021

L’année 2021 commença sur le thème du renouveau. Il fallait se réinventer à tout prix pour sortir de la morosité ambiante. J’ai donc suivi l’injonction sociale qui s’imposait comme un impératif auquel on ne pouvait échapper. N’ayant aucun matériel artistique à ma disposition et les commerces étant fermés pour cause de pandémie, j’ai donc eu l’idée d’utiliser de vieilles revues, de la colle maison et j’ai bricolé ces 21 tableaux.

QUATRIÈME PARTIE : Le Jeu de la vie et la « Gamification » du monde

« Dieu ne joue pas avec les dés » 

Albert Einstein

« Mais qui êtes-vous donc pour dire à Dieu ce qu’il doit faire ? » 

Niels Bohr

« La vie est un jeu mais elle n’est pas juste » 

 Jay-Z

Mon père Ursmord Durand était un redoutable joueur au jeu de dames.

PROLOGUE – D’où me vient l’intérêt pour le jeu?

Enfants jouant dans les parcs de la ville de Montréal. Photo Archives Montréal.


Le jeu est la chose la plus naturelle au monde. Qui n’a pas vu un enfant jouer ? L’homo sapiens apprend en jouant comme de nombreux mammifères. Quand j’étais très jeune, j’ai joué au Chat et à la souris et j’ai vite compris que je n’étais ni un chat ni une souris. Contrairement à mes voisines, je n’étais pas du genre à promener un chat dans un carrosse de poupées, je préférais faire des constructions dans le carré de sable. J’ai aussi joué au docteur sans être malade ni médecin. J’ai vite compris qu’il y avait des règles, normes et rituels à respecter dans le jeu. Plus tard, j’ai joué au hockey sur table et sur la patinoire du voisin l’hiver. Parfois de longues parties de Monopoly* et bien sûr les jeux de cartes. L’été était surtout consacré aux pichenottes dans la cour achalandée des Durand. Les jeux de ballons, la bicyclette, le branch et branch. Très jeune, mon père m’avait enseigné le jeu de dames. Il m’a même enseignée à jouer à qui-perd-gagne et il riait. Adolescente j’ai joué aux échecs et adulte je me suis intéressée au jeu de GO.  Quant à ma mère, elle a joué au scrabble jusqu’à 92 ans. Enfin,  la liste des jeux auxquels j’ai participé est très longue et celle des jeux sur la planète excessivement plus longue. Il serait fastidieux de tous les énumérer. Mais, je peux dire que j’ai fini par pressentir que l’homo sapiens est un joueur, un homo ludens comme Johan Huizinga a tenté de le démontrer dans sa savante étude, Essai sur la fonction sociale du jeu  (1938), en partie reprise par Roger Caillois avec Les Jeux et les hommes(1958). Ces deux ouvrages remarquables suscitèrent de nombreuses analyses, commentaires et critiques au siècle dernier. Mais je doute de leur totale pertinence en 2020 pour comprendre le jeu mondial : la mondialisation du jeu. N’empêche que les ludologues les citent constamment.  

Afin de m’adapter à l’évolution fulgurante de la gamification du monde, je me suis mise à m’intéresser de nouveau à la question. C’est en lisant, à l’automne 2019, un commentaire élogieux du livre d’Alexandro Baricco intitulé Le jeu de Baricco** que l’envie de retrouver le fil de mes anciennes recherches m’est revenue. En 1984, c’était les débuts des ordinateurs personnels et l’on peut dire qu’il s’en est passé des choses depuis, tant dans nos vies personnelles que collectives. À l’époque j’avais exposé un ordinateur dans une imposante installation, au Musée régional de Rimouski, intitulée Le Jeu de la vie, dans le cadre d’une exposition des enseignants et enseignantes du département des arts du Cégep de Rimouski. Voilà, j’ai retrouvé le fil de cette recherche. C’est parti !

*Le jeu de Monopoly, à l’origine The Landlord’s Game,  inventé par Elisabeth Magie en 1903, visait à faire connaître le principe des monopoles dans un but pédagogique. La conceptrice céda ses droits d’auteur, à bas prix, en 1936 à Parker Brother, car l’important pour elle c’était la diffusion du jeu pour éduquer le peuple exploité. Le jeu fût détourné de son objectif et devint un grand succès commercial. Aujourd’hui, il existe plusieurs versions, dans divers pays. Ainsi, le jeu de Monopoly a permis à plus d’un milliard d’homo sapiens de s’initier au capitalisme, dont le but du jeu est de ruiner ses concurrents.

** Le Devoir, 12 octobre 2019 par May Telmissany, Le jeu de Baricco

1. Baricco et THE GAME

« Joue et tu deviendras sérieux » 

Aristote
Alexandro Barrico

J’avais lu quelques romans et essais d’Alexandro Baricco, vedette italienne d’une soixantaine d’années. Cet écrivain, musicologue, enseignant,  touche-à-tout, auteur à succès, nous entraîne, d’un ton familier dans son parcours mental, afin de comprendre l’insurrection numérique qu’il a vécu. L’auteur remonte le temps, tout en faisait le tour de ses peurs. Il se souvient des années où il jouait au jeu qui fit un tabac, aussi bien en Amérique qu’au Japon ou en Europe : Space Invaders (1978). Petit à petit sa réflexion l’amène dans l’histoire du développement et du perfectionnement du jeu informatique, tout en cherchant les fondements idéologiques et mentaux qui permirent cette révolution. L’auteur en arrive à penser que ce mouvement technologique qui émergea en Californie et qui s’appuya sur l’outil était d’abord une révolution mentale : « sur dix personnes qui voulaient tout changer, cinq défilaient contre la guerre au Vietnam trois se retiraient dans un ashram et deux passaient leurs nuits dans les départements d’informatique à inventer des jeux vidéo ».

Baricco nous rappelle que la question de l’outil fut mise de l’avant par Steward Brand, gourou de la contre-culture et maître
à penser des hackers de la génération de Steeve Job.
En 1968 Brand avait publié le Whole Earth Catalog avec sous-titre accès aux outils. C’est ainsi qu’il s’exprimait : « Beaucoup de gens croient pouvoir changer la nature des personnes, mais ils perdent leur temps. On ne change pas la nature des personnes. En revanche on peut transformer les outils et les techniques qu’elles utilisent. C’est ainsi qu’on changera le monde ».  Pour Barrico cette révolution mentale de la contre-culture  californienne produisit l’outil qui visait l’autonomie des personnes ainsi que la gratuité et la circulation de l’information, seule façon de rompre avec les modes de pensée et les outils de communication du 20e siècle, lesquelles avaient permis l’horreur de ces deux grandes guerres. Selon Barrico, l’écroulement du mur de Berlin serait l’élément fondateur de l’ouverture de toutes les frontières, dont celle de l’esprit. D’après lui, les nouveaux outils de communication empêcheraient la répétition d’une telle calamité.*

Dans son processus de réflexion, Barrico prend le parti pris de suivre l’évolution technologique en imaginant des cartes qui correspondent aux divers soubresauts par lesquels l’homo sapiens est passé depuis les années 70. À partir de ces cartes, Barrico crée des liens, desquels il dégage des effets de ce «  deuxième monde »  sur l’homme/clavier/écran. Ce deuxième monde, le monde virtuel, étant un ajout au premier monde, modifie considérablement notre rapport à la vie et à la culture, car la genèse de l’informatique émergea du jeu.  Un jeu addictif qui s’est perfectionné très rapidement et qui a fait capoter le public quand Steeve Job a présenté son dernier jouet, le smartphone. Scène que l’auteur raconte avec brio, d’ailleurs. 

En superposant les diverses cartes, Baricco analyse les chemins et les effets produits sur le GAMER : Individualisme de masse, Posture zéro, Crépuscule des élites, Dématérialisation, Post-expérience, Redécouverte du tout. 

L’originalité de la démarche mentale de Baricco et les nombreuses informations historiques m’ont encouragée à continuer ma recherche et à voir ailleurs, afin de comparer avec les analyses d’autres auteurs sur la question de la gamification du monde. C’est en fouinant à la Grande Bibliothèque que je suis tombée sur une petit livre dont le titre m’a vraiment attirée : L’âge du jeu, et parce qu’il est écrit par un ingénieur diplômé de Harvard, chercheur indépendant. Je pouvais alors comparer avec l’approche d’Alexandro Baricco artiste et littéraire.

* On a pu observer que la technologie généralisée du 21e siècle, le smartphone, qualifié également de téléphone intelligent,  a eu pour effet d’enflammer la planète suite au buzz mondial suscité par la diffusion du meurtre de George Floyd.

« Nous façonnons nos outils et ceux-ci nous façonnent.» 

McLuhan 

Marshall McLuhan

2. Jutteau et L’ÂGE DU JEU

Jean-Alain Jutteau propose une vision du jeu dont la fonction sociale serait le développement individuel et collectif de la résilience. Ce concept, diffusé, popularisé et approfondi par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, origine de Thomas Moore qui l’utilisa au 16e siècle. La résilience (notion à la mode qui devient un même) véhiculée comme un mantra par les médias, est utilisée dans diverses disciplines. Chez l’humain, elle consiste en la capacité de rebondir après une épreuve. « Grâce au jeu de résilience créative, les individus humains survivent à leur néoténie tout au long de leur existence ». La néoténie est une notion d’origine biologique qui consiste chez l’animal humain à la rétention de la jeunesse, « soit la conservation, toute la vie d’adulte, de certaines caractéristiques de la jeunesse ».

L’auteur distingue les jeux de conditionnement, (partagés par certains animaux) lesquels assurent l’acquisition par imitation de comportement collectivement efficaces, des jeux de formes symboliques qui décuplent la capacité d’adaptation de l’espèce humaine à son milieu, grâce aux codes et langages, ainsi que la capacité d’abstraction. De plus, Jutteau distingue les jeux de résilience créative  qui concernent l’individu et ceux de résilience collective. Ceux-ci se parasitant les uns les autres pour répondre à notre double nature : individu et société.

De plus, l’ingénieur de Harvard définit trois types de jeux qui correspondraient au développement des individus humain : Les jeux de rites, de règles et de réflexion, lesquels seraient associés à trois âges de l’évolution de l’homo sapiens.  Ces jeux du domaine  de l’expérience « à quoi on joue » se distinguent de « avec qui on joue »

À QUOI ON JOUE  ?

Les jeux de rites : âge magique

C’est le domaine de l’expérience qui est simulée dans les jeux de rites, pour lesquels l’auteur emprunte à Huizinga la notion de sacré. Ainsi par les jeux de rites, l’humain simule des situations imaginaires en lien avec des forces occultes, afin d’assurer sa légitimité individuelle et collective, tout en conjurant les puissances hostiles de son milieu.  Chez l’enfant le jouet ou le fétiche revêt un caractère magique tout comme les fétiches et amulettes des sociétés à transmissions orales, archaïques et chamaniques. Jutteau nomme cet âge dans l’évolution  l’âge magique.

Les jeux de règle : âge théologique 

Les jeux de règles enseignent la discipline nécessaire à la socialisation des enfants. Ces jeux organisent les rapports de dominance et de solidarité entre les membres d’un groupe. Ainsi les tables de la Loi, les règlements, les normes préparent les individus à se conformer aux formes qui régissent les relations humaines. Cette période dans la vie de l’individu correspond historiquement à la période des institutions religieuses. Celles-ci, très hiérarchisées contrôlaient le jeu (généralement par l’interdiction), lequel pouvait distraire des activités dites sérieuses. Selon Jutteau,
les religions sont des « arnaques au sérieux » qui étendent leurs emprises par la soumission volontaire qui caractérise l’âge théologique.

Les jeux de réflexion : âge scientifique

Avec ces jeux, le joueur apprend à anticiper les conséquences de ses actions, à développer des stratégies et la pensée abstraite.  Ainsi, le développement de l’éducation et du langage mathématique à travers l’histoire des sciences correspond à la pensée moderne et à la démocratisation du jeu et des jeux. À l’origine pratiqués par les classes dominantes, tous les jeux se sont démocratisés : échec, Go, bridge, billard, golf, tennis, arts martiaux, casino, loterie, etc. Alors que jadis, le peuple n’avait eu accès qu’aux dés, aux jeux de carte et autres jeux similaires, le développement du capitalisme démocratise le jeu. Ainsi, les jeux interdits, jadis considérés immoraux, sont désormais institutionnalisés.  Avec le temps les loteries se multiplient et le hasard remplace la fatalité dans les esprits. Désormais avec la technologie, par la logique des ingénieurs et des mathématiciens nous sommes entrés dans l’âge scientifique : l’ancienne logique des élites est démasquée. C’est ce qui amène l’auteur à inviter le lecteur à entrer de plein pied dans cet âge en humanisant la technologie.

« Les jeux doivent devenir davantage des jeux de réflexion que des jeux de règles, et les jeux coopératifs rapporter plus que les jeux de compétition ».

AVEC QUI L’ON JOUE ?

Ici le rôle et le statut de l’autre, réel ou fantasmé, entre en jeu. On y trouve des jeux de compétition animés de l’esprit d’émulation. Ceux-ci prennent la forme de jouteduel, ou jonglerie (partenaire imaginaire) alors que les jeux de relations sont animés par l’esprit  de collaboration : jeux d’équipe, ronde ou parade.

Ces quelques concepts brièvement résumés amènent Jean-Alain Jutteau à constater qu’il n’y a pas de véritable séparation entre les jeux de sociétés, les jeux en société et dans la société. Chacun et chacune joue son rôle social en profitant plus ou moins de sa place dans les diverses hiérarchies appelées à changer dans ce nouvel âge scientifique  qui correspond à la  « gamification du monde » : Âge dans lequel le numérique risque de contrôler tous les futurs jeux de l’humanité. De là, l’appel de l’auteur à mieux connaître les mécanismes d’apprentissage par le jeu afin de préparer une génération de joueuses et joueurs, conscients de l’enjeu,  lequels devrait privilégier la collaboration à la compétition.          

3. Villeneuve et GAMER

« Une civilisation est inachevée si elle n’ajoute pas à l’art de bien travailler celui de bien jouer » 

Georges Santayana

Suite aux lectures précédentes, je me demandais comment humaniser les technologies et privilégier la collaboration à la compétition ? Comment utiliser les possibilités ludiques des jeux numériques de façon positive en éducation ?  Par hasard, à travers mes recherches, la dilettante pédagogue en moi, est tombée sur cette série de livre/jeunesse de Pierre-Yves Villeneuve, et je me suis lancée de tout cœur dans la lecture de la série GAMER. À ma grande surprise, après avoir lu 3 ou 4 premiers tomes, j’ai rencontré, deux jeunes filles de 12 ans, deux jumelles très intelligentes et très bien éduquées ( Romane et Arielle ) devenues fans de l’héroïne Stargrrrl. Là j’ai compris que j’avais du rattrapage à faire pour suivre cette génération. J’ai pris conscience que mes lectures  de jeunesse dataient du siècle précédent. Si l’on exclut les histoires religieuses, Sylvie hôtesse de l’air avait fait rêver plus d’une jeune fille de ma génération, sans atteindre toutefois la célébrité de Bob Morane, sortie la même année en Belgique. 

Pierre-Yves Villeneuve

En fait, la série GAMER est écrite par un geek*, d’après ce que j’en comprends. J’ai eu l’impression d’entrer dans un nouveau pays culturel et de tomber en plein dans le fossé des générations. L’auteur connaît très bien la culture jeunesse : cinéma, musique, BD, science-fiction, super-héros, fantasy, etc. ainsi que les divers jeux vidéo, leur évolution technologiques ainsi que l’informatique. Villeneuve fait le pont entre la culture de l’ancien monde et celui de la révolution numérique des jeunes gameurs. Il possède un esprit scientifique critique qui rend cette lecture agréable à lire pour des jeunes, tout en étant instructive à plusieurs niveaux. D’autant plus que l’héroïne Lauréanne, dont l’avatar  Stargrrrl, possède les talents de son créateur. Jusqu’où ira-t-elle cette héroïne québécoise, alors que les jeux vidéo attirent une jeunesse mondiale (malgré le fait que les médias et le système d’éducation ne veulent pas le voir et en parler) et que les technologies évoluent constamment ? 

L’héroïne de la série, Laurianne, est une jeune fille de 15 ans dont la mère est décédée récemment. C’est ce qui amène son père, avec lequel elle est en bonne relation,  à déménager à Montréal. Voilà  le contexte dans lequel on voit évoluer cette jeune fille, à travers son processus d’adaptation à la ville, à sa nouvelle école, ainsi qu’avec ses nouveaux amis et nouvelles amies qui ont vite remarqué ses talents de hackeuse et de coureuse de vitesse. Son ennemie jurée la méchante  Sarah-Jade a également reconnu les talents de Laurianne et la compétition est vive entre ces deux adolescentes. Mais Laurianne est surtout consacrée à son jeu et à l’étude de son jeu. De fil en aiguille, elle se fait également remarquer à la boutique de jeux vidéo, dans La ligue des mercenaires,  qu’elle analyse sans cesse tout en réussissant bien à l’école. Alors que le monde du jeu s’amalgame à sa vie réelle, son talent de hackeuse l’amène dans des aventures périlleuses. En plus, elle doit gérer ses histoires d’amitiés troubles qu’elle analyse et cherche à comprendre.

Devenue  leader de l’équipe qui ira jouer en Corée du Sud, Stargrrrl dirige la jeune équipe de Montréal qui s’est fait remarquer favorablement. C’est pourquoi elle sera entraînée avec ses coéquipiers et coéquipières dans des péripéties dignes d’un film d’action de Netflix et la compétition deviendra forte, autant dans le jeu que hors du jeu. 

On aime bien cette Stargrrrl que l’on suit dans les deux monde : le monde
« réel » et celui fictionnel. Deux monde que l’héroïne gère sérieusement en réfléchissant à tous ses bons et mauvais coups dans chacun des mondes. Dans le monde virtuel, Laurianne s’est créée un style ou une identité qu’elle décrit et qu’on imagine chacun à notre façon. Elle choisit toujours les munitions de Stargrrrl avec parcimonie et se rend au combat avec courage (Laborit dirait motivation), force, connaissance et détermination. Prête pour toutes les missions, elle affronte des armées de zombies, des traîtres et quantité d’êtres indésirables dans des décors bizarres et compliqués. Dans ses combats, Stargrrrl a des amis qu’elle fréquente dans sa vie réelle et d’autres moins connus ou pas du tout avec lesquels elle fait des alliances quand c’est nécessaire, sinon elle tue allégrement pour sa survie. Cette saga qui se dessine sans fin, montre comment les jeux de rôle dans les jeux vidéo, tout en offrant plusieurs vies fictives, permettent à Andréanne de s’initier au  jeu cruel de la vie et de la mort. Stargrrrl est une battante ! Cela nous change des Superman.

« Prenez le temps de jouer, c’est le secret de l’éternelle jeunesse. »

Jacques Salomé

 * Depuis le début du 21e siècle, les multiples définitions qui furent attribuées au terme geek peuvent se résumer par leur point commun : le geek est celui qui s’évade grâce à son imaginaire, c’est-à-dire qui se divertit grâce à celui-ci, en se passionnant pour des domaines précis (science-fiction, fantastique, informatique…) dans lesquels il aura une connaissance poussée, et en s’insérant au sein de communautés actives de passionnés. (Wikipedia)

ÉPILOGUE

Blaise Pascal et Boris Cyrulnik

« Tout le malheur des hommes vient d’une seule  chose, qui est de ne savoir point demeurer en repos dans une chambre. » 
 « L’homme est si vain qu’étant plein de mille causes essentielles d’ennui, la moindre chose comme un billard et une balle qu’il pousse suffisent pour le divertir». 

Pascal (126)

Boris Cyrulnik lui répondrait :
« Il n’y a pas de pire stress que l’absence de stress, parce que l’absence de stress, c’est la monotonie, l’engourdissement psychique, la mort de l’âme. On n’est pas mort, mais on est non vivant, donc on souffre. Pour éviter cette souffrance, on crée des situations de stress. »

*****

Cette recherche sur le jeu m’a ramenée à Pascal (1623-1662) et à son ironique et/ou paradoxal «  pari » qui suscita diverses interprétations. L’une d’entre elles, c’est qu’il s’adressait aux joueurs à l’argent. Quoi qu’il en soit, Pascal mérite un détour dans ses Pensées. L’inventeur de la machine à calculer, pouvait-il imaginer que la machine du 21e siècle pourrait battre les meilleurs joueurs de GO ?  Même les meilleurs informaticiens n’imaginaient pas que cela arriverait sitôt ! Ce jeu vraisemblablement d’origine chinoise ou japonaise, se démocratisa en Occident à la fin du 20e siècle seulement. Autant dire hier dans l’histoire de l’homo sapiens. Je pense que l’Occident aurait intérêt à mieux  connaître le GO parce que ses fondements psychiques sont forts différents du jeu d’échec, auquel on le compare, et dont nous sommes beaucoup plus familiers.

*****

La notion de jeu est plus complexe que tout ce que j’imaginais et je n’ai pas l’intention de concurrencer les ludologues, dont la discipline entre peu à peu dans les universités par la porte des chercheurs technologues, sociologues, philosophes et théoriciens des jeux. N’empêche, que cette recherche a nourri mes réflexions depuis le mois d’octobre 2019, avant que la pandémie fasse partie de notre nouveau et triste jeu social. Que cache le mot jeu en plus du je, de l’enjeu, de la notion de risque (calculé ou non), de rapport de force, de victoire ou défaite ? Le frisson, le trac de l’incertitude peut-être… Et la décharge de dopamine pour le gagnant ?

Qu’y-a-t-il à gagner dans le jeu ? applaudissement, gloire, pouvoir, autorité, honneur, respect, admiration, amusement, distraction, loisir, amour, libido, plaisir, argent, satisfaction, ambition, passion, maîtrise de soi, fuite de soi, découverte de soi, satisfaction de l’égo, accomplissement, dépassement, expérience, survie, résilience ? J’en perds mon latin, mais je me permets de retenir quelques impressions de mes lectures. 

 « L’amour du jeu est tellement universelle et sa pratique tellement agréable que cela doit être un péché.» 

Edward F. Murphy

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J’ai retenu de Jean-Alain Jutteau cette idée qui m’apparaît importante : « La résilience est la raison d’être du jeu et l’explication de son omniprésence dans les pratiques humaines. Grâce au jeu de résilience créative, les individus survivent à leur néoténie tout au long de leur existence : grâce au jeu de résilience collective, les groupes humains disciplinent et valorisent les pulsions de leurs membres tout en assurant leur stabilité et leur solidarité ». 

Pour l’auteur, il est urgent de réhabiliter le jeu dans l’éducation et la formation des individus. Je suis bien d’accord, mais je doute que le Ministre le d’éducation, quel qu’il soit, puisse avoir les coudées franches pour amorcer cette véritable révolution pédagogique à court ou moyen terme. Toutefois, on ne peut jurer de rien, et il  est difficile de présumer du futur, puisque la nécessité est la mère de la création. Apprendre à vivre avec l’incertitude, est une dimension intrinsèque des jeux, et l’école a un rôle à jouer dans cet apprentissage. Cette attitude mentale analysée par Guy Bourgeault dans Éloge de l’incertitude devrait inspirer la population en général, non seulement les pédagogues.

« L’incertitude est généralement présentée comme l’envers de la certitude; comme sa face négative. L’auteur entend ici renverser ce rapport et proposer une vision selon laquelle l’incertitude, assumée, est source d’un élan qui place l’humanité et son avenir sous le signe de l’ouverture, de l’accueil des renouvellements. » 

( quatrième de couverture )

« La recherche doit avant tout être un jeu et un plaisir ». 

 Pierre Jolliot

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Il est fort possible que la véritable révolution pédagogique s’opère en dehors du système scolaire à l’instar de la série jeunesse Gamer de Villeneuve, dans lequel le monde parallèle de l’écran est plus excitant, jouissif et addictif grâce aux incertitudes inhérentes au jeu et la satisfaction d’avoir réussi un bon coup. Le dicton populaire  qui dit « Qui ne risque rien n’a rien » est aussi bien compris, par le plus chic boursiers de la planète que par l’acheteur du moindre billet de loterie. Et si cette addiction était dirigée vers la connaissance de soi, de l’autre, la connaissance de l’évolution de l’homo sapiens et la recherche de stratégies de survie et de croissance collective ? Je suis portée à penser que Stragrrrl, qui joue «  fair play », empruntera ce chemin d’apprentissage.

« L’homme est pleinement Homme que lorsqu’il joue ». 

Schiller
Une multitude de jeux d’apprentissage et de divertissement sont disponibles sur les tablettes et divers écrans pour les tout jeunes enfants.

Les pédagogues sont partagés sur l’idée de l’apprentissage par le jeu et l’écran. Pour certains, c’est le danger de l’addiction, pour d’autres, la vie serait une chose sérieuse et le jeu ne le serait pas. Je laisse aux futurs enseignants les débats sur la question. Toutefois, en ce qui me concerne à propos du sérieux, je pense que la majorité des vrais joueurs prennent leur jeu aussi au sérieux qu’un chirurgien consciencieux. Le jeu est source de découverte, de récompense, de gratification, de concentration, d’apprentissage, d’expérimentation, de recherche, d’exploration, de réflexion, de peur, d’effroi… et de création.  Avec des variantes, selon la forme de jeu. J’ai bien vu que Strigrrl, l’héroïne de Gamer, utilisait toutes ses connaissances dans le jeu : science, technologie, psychologie, statistiques, déduction, stratégie, alliance, mésalliance, anticipation, feinte, audace, gestion du risque, etc. Il en va de sa vie numérique ! On peut supposer que cet apprentissage est transférable dans la vie réelle, car le but est de prolonger le jeu.

 « Le Canada est un mauvais joueur sur la scène internationale ».

David Webster

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Le jeu vidéo « intelligent » et hyperhumaniste (terme utilisé par Joël de Rosnay en écho au transhumanisme) est sans doute à venir, peut-être qu’il deviendra La Grande École d’apprentissage de la Vie, peut-être pas. Suite au confinement, la présence réelle des humains entre eux, peut s’avérer bienfaisante et recherchée. Par ailleurs le jeu et le travail à distance peuvent également prendre une expansion qu’on ignore. Nous vivons dans l’incertitude, désormais la planète entière en prend conscience. Présentement, le jeu pédagogique intelligent échappe au système scolaire alors qu’il pourrait devenir l’outil de premier plan pour diffuser la fine pointe des avancés de l’humanité dans tous les domaines, tout en collaborant au développement de l’intelligence collective. J’ai vu récemment qu’on recherchait des scientifiques joueurs pour une recherche sur les bactéries à partir d’un jeu vidéo. Il faut s’y faire ou ne pas si faire ? Quoi qu’il en soit de nos réponses personnelles, le jeu est intégré aux divers systèmes sociaux et il est difficile d’en sortir totalement. Le mot systémique correspond bien à cet enjeu global. 

 « Il n’y a pas de plus sérieux qu’un enfant qui joue ». 

Arnaud Gasagne

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Marie Curie en compagnie de ses deux filles, Éve et Irène.

La pandémie nous a révélé le manque de vision des technocrates de l’éducation : une grosse machine impuissante, incohérente et sans projet. N’oublions pas que Marie Curie n’envoyait pas ses enfants à l’école. Elle savait trop bien que le système scolaire peut nuire à l’évolution d’un esprit libre. Malheureusement, comme il y a peu de Marie Curie parmi nous, nous devons compter sur le système scolaire et ses agents sociaux qui font leur possible.

« Le jeu est la forme la plus élevé de la recherche ». 

Einstein

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Baricco m’a inspiré dans ma façon d’observer les médias. Je me suis mise  en arrêt sur image /son, chaque fois que je voyais ou entendais le mot jeuJ’ai alors vu et entendu qu’il se retrouve partout, comme DIEU était partout autrefois. Enfin…c’est ce qui s’enseignait dans les écoles.  Mais à quoi joue-il ? hockey, cow-boy,  jeux olympiques, jeu de poupées, soccer, baseball, tennis, arts martiaux, théâtre, cinéma, télévision, concours de ceci, concours de cela, course électorale, course automobile, course autour du monde, jeux de mots, jeux de lettres, jeux de chiffres, devinettes, jeux des vedettes, joutes oratoires, joutes au parlement, joutes des avocats, jeux d’argent, poker, duels de politiciens, bourse, loterie, casino, jeux de cartes, bridge, tarot, jeu des musiciens, des comédiens, jeux de guerre, jeux de sociétés, jeux vidéo, jeux de rôles, jeux d’échecs, jeu des nations, jeux de GO, jeux de séductions, jeux des démocraties, jeux des syndicats, jeux des politiciens, jeux de la mafia, roulette russe, Jeux du Québec, Jeux du Canada, jeux du Centenaire, etc. sans compter tous les jeux de l’amour et du hasard. Ces jeux inscrits dans la société du spectacle et du divertissement n’ont pas de véritables frontières entre les jeux dits sérieux et les jeux non sérieux. Les joueurs et joueuses se promènent d’un jeu à l’autre, d’un niveau de jeu à l’autre. Toutefois, quand la vie véritable des individus est en danger, le jeu devient très sérieux parce que dans le réel, l’homo sapiens n’a qu’une seule vie, contrairement aux jeux vidéo. Si on exclut l’idée de réincarnation, bien sûr. Terrain trop glissant pour m’y aventurer.

« Je tiens ce monde pour ce qu’il est : un théâtre où chacun doit jouer son rôle ». 

Shakespeare 

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Les jeux, jadis réservés aux cours d’Orient et d’Occident se sont démocratisés et les anciennes élites ne savent plus sur quel pied danser.  Désormais, les joueurs et joueuses de tout acabit, peuvent théoriquement prendre place dans cette nouvelle donne mondiale, dont on commence à peine à déchiffrer les jeux et les enjeux, dans lesquels on retrouve une part plus ou moins grande de rites, de règles et de réflexion. Cette grille de classification des aspects dominants des divers jeux, mise de l’avant par Jutteau, m’apparaît fort utile pour observer aussi bien l’Assemblée nationale, le Super Bowl, le tournoi de la ligue de baseball du Rang Creux, une partie de Monopoly, d’échec, de fer à cheval, de billard, de fesses ou le spectacle de la messe de Pâques à Saint-Pierre de Rome, tout autant que la roulette russe ou l’ouverture de la Bourse de New-York. En argot québécois, on dirait un Criss de jeu !  Un jeu fabuleux ! 

« La vie est une pièce de théâtre : ce qui compte, ce n’est pas qu’elle dure longtemps, mais qu’elle soit bien jouée ». 

Senèque

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Cette nouvelle science, la ludologie apportera, sans doute, des connaissances approfondies sur la notion de jeu au 21e siècle, sur les plans psychologique, neurobiologique, pédagogique, érotique, politique, économique, etc. La difficulté c’est d’observer comment les  « jeux finis » s’amalgament au jeu infini. Les divers jeux finis, avec rites et règles précises (échec, hockey, scrabble, bridge, Monopoly, etc.) où l’on trouve toujours des gagnants et des perdants, se superposent comme des poupées russes et s’entremêlent au « jeu infini de la vie », sans règles définies, de la naissance à la mort. (James P. Carse).

« La maturité de l’homme, c’est d’avoir retrouvé le sérieux qu’on avait au jeu quand on était enfant » 

Nietzsche

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Les médias nous montrent sous divers points de vue et éclairages, un vaste éventail de possibilités de jeux de rôles et jeux sociaux, à travers le temps, l’espace et l’histoire de l’homo sapiens. Jusqu’à récemment nous regardions divers spectacles de la Vie dans les médias tout en analysant et commentant le jeu des acteurs sociaux et en spéculant sur leurs performances. Désormais, nous nous percevons, la plupart d’entre nous, comme des figurants, plus ou moins masqués dans une fiction planétaire qui s’annonce comme une longue série qui risque de se prolonger. Devenus figurants/spectateurs, anonymes ou célèbres, nous nous regardons dans le GAME avec plus ou moins de hauteur de vue, en vaguant à nos occupations de la vie quotidienne, plus ou moins stressantes.  En période de crise sociale, ou plutôt de catastrophe dirait Boris Cyrulnik, nous voyons bien que le grand jeu de la vie dont nous découvrons la complexité nous appelle à un renouvellement sur plusieurs plans. À une nouvelle forme d’improvisation et de création collective sous le thème de l’adaptation, principale clé de la survie.

« Les gens créatifs sont curieux, flexibles et indépendants avec un  esprit formidable et un amour du jeu ».

 Henri Matisse
Jeu de boules, Henri Matisse.

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Cette révolution mentale, technologique et numérique, d’aucuns diront spirituelle,  à la charnière du 21e siècle, nous ramène au Village Global tel que l’avait imaginé le chercheur canadien Marchall McLuhan (1911-1980).

Le Village Global chaotique qui se met rapidement en place, surtout depuis l’an 2000, serait théoriquement antihiérarchique et démocratique, selon le mythe fondateur californien. Nous verrons bien l’usage que nous en ferons de l’outil. Dans ce Village Global, les  liens avec l’Intelligence Artificielle sont flous, cachés, mystérieux,  incompréhensibles pour la plupart d’entre nous. Quoi qu’il en soit, il faut bien admettre avec Barrico que l’homo sapiens adore son nouveau joujou qui lui permet de communiquer avec la planète entière… ou presque. 

Nous inaugurons une nouvelle période dans l’histoire de l’homo sapiens  et nous nous posons les mêmes questions que Gauguin : « D’où venons-nous, Que sommes-nous, Où allons-nous ?»

Aujourd’hui,  nous savons que le jeu complexe de la vie et de la mort continuera avec ou sans l’homo sapiens. Grâce à l’Intelligence collective et la prise de conscience humblement de notre place dans l’Univers, nous pourrions peut-être continuer ce Grand jeu de la vie qui nous dépasse. Ce qui est intéressant dans cette histoire c’est qu’on ignore la FIN et qu’on peut changer de jeu.

 Montréal 24 juin 2020

Post-scriptum

RÉFÉRENCES

Alessandro Baricco, The GAME,  Galimard, 2019

Blaise PASCAl L’homme face à l’infini, Philosophie magazine, Hors-série

Boris Cyrulnik, La résilience ou comment renaître de sa souffrance, Faber, 2003

Edgar Morin, Pour sortir du XXe siècle, Seuil, 2000

Guy Bourgeault, Éloge de l’incertitude, Bellarmin, 1999

Georges St-Pierre, Le sens du combat, Arthaud poche, 2013

James P.Carse, Jeux finis, jeux infinis, Deuil, 1988

Jean-Alain Jutteau, L’âge du jeu,  SciencePo Les Presses, 2017

Joël de Rosnay, Surfer la vie,  LLL, 2013

Johan Huizinga, Essai sur la fonction sociale du jeu, 1938

Marshall McLuhan, The Global Village Transformation in World Life and Media in the 21 St Century, 1989, réed. 1992.  (jamais traduit)

Michel Serres, petite poucette, Manifestes Le Pommier, 2012

Paolo Giordano, CONTAGIONS, Seuil, 2020

Pierre-Yves Villeneuve, GAMER, (8 tomes)  Les malins, 2016

Roger Callois, Les Jeux et les hommes, 1958

Sébastien Bohler Le bug humain, Robert Laffont, 2019

MEDIA

– Pour l’histoire des jeux vidéo :
Meilleur score, mini-série Netflix en 6 épisodes.


– Pour la critique des médias sociaux :
Derrière nos écrans de fumée, documentaire Netflix : 

TROISIÈME PARTIE : MAI 1985 — Bioart et Transhumanisme

L’affaire est dans l’sac

En mai 1985, je présentais à Rimouski la performance l’affaire est dans l’sac. Celle-ci traitait de la notion d’identité reliée au corps biologique. Aujourd’hui les artistes du BioArt poursuivent leurs audacieuses et troublantes recherches sur l’identité en intégrant les NBIC*.

*Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et sciences Cognitives (NBIC). 

C’est en étudiant l’histoire de la génétique, de l’eugénisme et du transhumanisme que j’ai pris conscience de l’impact des expérimentations artistiques actuelles, à mille lieux des réflexions de l’époque, en ce qui concerne les NBIC. La grande transition historique commençait à peine ainsi que l’importance que prend la notion d’identité numérique.

C’est au Salon Hors du Temps que j’ai présenté l’affaire est dans l’sac. J’expliquerai le processus de cette performance, mais surtout je résumerai l’essentiel de mes recherches historiques qui m’ont permis de  mieux comprendre l’émergence du transhumanisme au XXe siècle.  Mouvement dans lequel s’inscrivent de façon spectaculaire les trois bioartistes que je présenterai : Orlan, Edourdo Kac et Sterlac. Par la suite, je traiterai de l’acceptation sociale et de la reproduction des élites tout en tentant quelques réflexions, sur l’eugénisme, auxquelles cette recherche m’a confrontée et me confronte toujours.

Le Salon Hors du temps

Les anciens rimouskois reconnaîtront sans doute la photo de mon atelier Le Salon Hors du Temps, en face de la librairie Vénus. Ce fut mon terrain de jeu artistique durant quelques années avant que  j’aménage dans mon ermitage, à Pointe-au-Père.

Le Salon Vénus inc. est devenu propriétaire de la maison blanche. Tour à tour, salle d’expositions artistiques,  mon atelier et la Maison des femmes de Rimouski. Finalement, la Coopérative Aténa est devenue propriétaire de la maison. Leur premier projet  de créer une fabrique de bière et un pub est tombé à l’eau pour devenir l’actuelle Coopérative d’habitation.

Performance L’affaire est dans l´sac

Quelques-unes de mes identités imaginaires apparaissant dans L’affaire est dans l’sac.

L’élément déclencheur de la performance fut le fait qu’un soir, à la brunante, alors que je me rendais allègrement au terminus d’autobus, je me suis fait bousculée et volée par trois personnes cagoulées vêtues de noir.
À l’époque j’aurais dit trois garçons. (De nos jours c’est plus compliqué d’identifier le sexe et le genre puisque celui-ci serait dans la tête, paraît-il. En plus, on risque d’être mal vu si on se trompe. Qu’importe ! ) J’ai alors pris conscience que l’essentiel de mon identité était dans ma grosse
sacoche : carte d’assurance sociale, d’assurance maladie, permis de conduire, assurance auto, cartes de crédit, porte-monnaie, bottin téléphonique, clés, lettres, maquillage, cigarettes, etc. J’ai aussi pris conscience que le vol ressemble à un viol. C’est violent ! C’est à partir de mes réflexions sur cet événement et ma condition de femme que j’ai construit une performance qui questionnait la notion d’identité. Question reprise bio-technologiquement par les artistes du Bioart.

Trois ans plus tard, je pose fièrement à côté d’une publicité à Paris dont le slogan est identique au titre de ma performance ! ( Photo : Audette Landry )

Transhumanisme et évolution

Le mot transhumanisme est apparu en France dans les années 1930, via le Centre d’études des problèmes humains où voisinent les idées d’Alexis Carrel et de Julian Huxley (frère d’Aldous)  et où l’on évoque la pensée spiritualiste évolutionniste de Pierre Teilhard de Chardin. Mis à l’index par l’Église de Rome, l’œuvre du jésuite scientifique vise le point Omega pour l’avenir de l’humanité. Rien de moins. Cette façon singulière d’imaginer le futur avait tout ce qu’il fallait pour inspirer spirituellement certains courants transhumanistes. (Les jésuites doivent se retourner dans leur tombe.) L’œuvre de Pierre Teilhard de Chardin fut traduite en anglais par Julian Huxley, président de la Société eugénique britannique. Celui-ci fut co-rédacteur du Manifeste des généticiens en 1939 et premier directeur à l’UNESCO en 1948. C’est lui  qui popularisa le terme transhumanisme lors d’une conférence  dans les années 1950.

De son côté le  controversé prix Nobel de 1912, le chirurgien Alexis Carrel, rayé de la toponymie de Montréal en 2017, fut carrément associé au nazisme. Pourtant tous ces scientifiques et philosophes en faveur de l’eugénisme, dont Bertrand Russel, avaient en commun l’idée d’évolution et de perfectionnement de l’humanité tout en craignant la surpopulation des inaptes. Ils étaient nombreux en Angleterre les adhérents à des cercles eugéniques qui visaient la sélection rationnelle plutôt que naturelle.  Mais, suite au nazisme, toute idée d’évolution reliée à l’eugénisme est devenue tabou malgré la stérilisation forcée qui était devenue monnaie courante dans de nombreux pays. J’y reviendrai. 

Alexis Carrel,(1873-1944)
Prix Nobel physiologie ou médecine 1912

« L’unique route ouverte au progrès humain est le développement optimum de toutes nos potentialités physiologiques, intellectuelles et spirituelles. Seule cette appréhension de la réalité totale peut nous sauver.» Carrel

PIERRE THEILLARD DE CHARDIN

Pierre Theillard de Chardin,  (1881-1955)
Jésuite paléontologue

« Notre devoir d’Homme est d’agir comme si les limites de notre puissance n’existaient pas. Devenus, par l’existence, les collaborateurs d’une Création qui se poursuit en nous pour mener invraisemblablement à un but (même terrestre) bien plus élevé et éloigné que nous ne pensons, nous devons aider Dieu de toutes nos forces, et manipuler la matière comme si notre salut ne dépendait que de notre industrie.»  Theillard de Chardin

JULIAN HUXLEY

— Julian Huxley, (1887-1975)
Biologiste, théoricien de l’eugénisme 

« Une fois pleinement saisies les conséquences qu’impliquent la biologie évolutionnelle, l’eugénique deviendra inévitablement une partie intégrante de la religion de l’avenir, ou du complexe de sentiments, quel qu’il soit, qui pourra, dans l’avenir, prendre la place de la religion organisée. »  Huxley

L’idée d’améliorer et de prolonger l’espèce humaine est réapparue en force en Californie dans la Silicon Valley dans les années 1980, avec l’aide de la NASA,  sous la houlette de Ray Kurzweil patron de l’université de la Singularité dont on retrouve des tentacules dans divers pays. Le mouvement transhumanisme prône l’utilisation des diverses technologies afin de soigner, perfectionner, transformer et prolonger l’homo sapiens. Et pourquoi pas le rendre immortel, comme le propose la firme Neurolink de Elon Musk, en créant une symbiose cerveau/machine par des implants neuronaux ? 

Malgré la tentative de rendre le concept plus sexy en 2008, en changeant le nom pour Humanity Plus, cela n’a pas changé grand chose. La Déclaration  définissant les bases du transhumanisme est rédigée en 7 points. Le premier point se lit ainsi : « L’humanité sera profondément affectée par la science et la technologie dans l’avenir. Nous envisageons la possibilité d’élargir le potentiel humain en surmontant le vieillissement, les lacunes cognitives, la souffrance involontaire, et notre isolement sur la planète terre. »

Captivant et troublant la création de ce projet qui en désole certains et en réjouit d’autres. Voici donc quelques un des livres qui m’ont particulièrement aiguillonnée dans cette recherche sur la génétique, les biotechnologies et le transhumanisme.  Parmi ces livres, celui de  Jacques Testart, père du premier bébé-éprouvette français en 1982, m’a rappelé les pratiques artistiques du BioArt qui jusqu’alors ne m’avaient pas tellement captivée.