DEUXIÈME PARTIE : 1984 — Exposition-performance : Voir l’entendre

« Lorsqu’on parle de soi, on parle de trois choses : on parle de celui (ou celle) qu’on croit avoir été, de celui qu’on a voulu être et de ce qu’on a été. Nous sommes toujours plus ou moins dans la fiction, dans le récit que l’on se fait de soi et des autres » — MARGUERITE YOURCENAR

L’élément déclencheur

L’élément déclencheur de cette première exposition – performance* fut la belle gravure provenant d’une vente de débarras au Collège de Rimouski : une interprétation de la fameuse Dernière Cène de Léonard de Vinci. Avec cette représentation mythico-humaniste, reprise par plusieurs artistes dans l’histoire de l’art, j’étais en pays de connaissance, notamment parce que dans ma famille nous étions 12 enfants, six garçons, six filles. En voyant la gravure, le déclic s’est fait. J’ai vu l’ensemble du projet et les tableaux furent réalisés l’un après l’autre sans soucis.

*Un long article de Wikipedia explique l’histoire de la performance qui commença avec les Futuristes italiens et qui culmina au Québec, avec le mouvement féministe, à partir des années 1970.

Rire à la sainte table

Sur la photo de gauche, Cécile et Ursmord n’avaient que onze enfants. Sur la photo de droite, grâce à l’arrivée de la petite dernière, la douzaine est complète.

L’idée de partager le vin et un repas, en famille ou entre amis, c’est la chose que j’apprécie le plus des rituels du christianisme, sans croire que je mange le corps et que je boive le sang du Christ. Quand même !  Je n’ai jamais cru à ce genre de magie. Quand on se dégage de cette imagerie enfantine, de ce cannibalisme primaire, on reconnaît que boire et manger sont essentiels à la survie de l’homo sapiens et de toutes les espèces vivantes. Il suffit de suivre l’évolution d’un grain de blé, ou de riz, pour en saisir la beauté et la complexité. Sans doute qu’il s’agit de poussières d’étoiles comme l’homo sapiens. Quoi qu’il en soit de ce passé lointain, rien d’étonnant que ce rituel de partage se perpétue malgré la laïcisation progressive de la société québécoise. 

Les rituels naissent, se développent, s’imposent et se transforment. Ils suivent l’évolution des changements sociaux et idéologiques ainsi que des changements dans nos vies personnelles. On retrouve des rituels et codes sociaux partout : dans les sports et jeux, en politique, dans les diverses institutions et religions. Les rituels partagés cimentent les liens sociaux, parfois pour le meilleur, parfois pour le pire. Il existe de multiples réseaux de rituels et diverses histoires de leurs organisations et de leurs transmissions. Certains rituels portent à rire d’autres pas. Tout dépend des circonstances, coutumes, traditions, formes de hiérarchie sociale, etc. Les rires sociaux à l’encontre des divers pouvoirs sont soumis aux normes, lois et constitutions des divers pays.  

Au Québec, le rire collectif  accompagna la décléricalisation, dans les années 1960-70, grâce aux Cyniques* et à Yvon Deschamps*. Le pouvoir de l’Église de Rome venait de sauter en éclats par l’humour carnassier ou faussement bon-enfant de ces jeunes humoristes. Cette libération collective du poids de la religion catholique ne s’applique évidemment pas à toutes les religions. C’est bien connu. Les québécois ne partagent plus de Rire collectif. Même le Bye bye est en peine d’humour social. L’humour subversif est en déclin parce que les Chartes et Constitutions nous empêchent de rire du monde. La liberté d’expression a ses limites et dorénavant ce sont les avocats et les assureurs qui sont les contrôleurs du Rire. 


Collectif, Les Cyniques, Le rire de la Révolution tranquille, Triptyque, 2013
* Robert Aird, L’histoire de l’humour au Québec, VLB éditeur, 2004 et Histoire politique du comique au Québec, VLB éditeur, 2010. 

L’ écrivain Umberto Éco nous montre dans le roman Le nom de la rose* que le rire n’avait pas de place dans l’Église de Rome au Moyen-Âge. En contrôlant les spasmes organiques, orgasmiques, incontrôlables du rire, le pouvoir contrôlait aussi les consciences.  Il fallu attendre l’humaniste, moine et médecin François Rabelais, l’auteur de Gargantua,  pour que le rire s’introduise grossièrement puis finement dans la culture française en fonction des nouvelles hiérarchies sociales.  C’est en lisant Alain Vaillant que j’ai compris que cette exposition-performance s’inscrivait dans un motif constant dans la culture occidentale : le rire et le vin. Voilà donc où je voulais en venir, en faisant ce détour dans l’histoire du Rire. Avec le recul des ans, je comprends mieux mon processus de 1984 alors que j’étais totalement immergée dans l’action créatrice. 

*Le film de J.J. Annaud produit en 1986, avec l’acteur Sean Connery, fit connaître davantage le roman.

Rire et vin

« L’équivalence du rire et du vin est un motif constant dans la culture occidentale. L’éloge du vin n’est pas seulement pour Rabelais une pirouette finale, ni une blague banale d’après-boire, ni la parodie carnavalesque des Saintes écritures et de tout son sacré. Le rire rabelaisien est bien plus qu’un antidote contre toutes les illusions (religieuses, spiritualistes, idéalistes) ; il est d’abord l’affirmation d’une conviction philosophique d’où découle un impératif moral. La conviction est celle d’un immanentisme absolu, avec lequel il ne saurait être question de transiger.»

Alain Vaillant, La civilisation du rire, CNRS EDITIONS, 2016, p.259

Introduction à la performance

Cette photo me révèle et me rappelle que je jouais à l’enseignante, le jeu avec Denise, dont j’ai parlé précédemment ( 1978 — La prodigieuse amie d’enfance ), mais j’avais changé de rôle.  Le jeu et le travail se confondaient et j’expliquais innocemment mes recherches sur la vue et le cerveau de l’homo sapiens. Cet organe physique et psychique évolue sans cesse grâce aux multiples technologies qui permettent de conserver, sur divers supports, des traces de vie des diverses civilisations ainsi que celles des êtres chers. Le rafraîchissement de la mémoire est désormais possible, pour une bonne partie des terriens et terriennes. Il est même possible d’observer de loin ou de près, de jouer avec les distances, les points de vue, les plans, les angles, les textures, l’ombre et la lumière, la transparence, le mouvement, la vitesse, la couleur, etc. Sans parler de ce qui est présenté comme passé, présent, futur ou virtuel. Il est également possible de voyager dans le temps et l’espace, dans l’infiniment grand et l’infiniment petit, non seulement par la pensée mais par une représentation de l’image grâce à la technologie. 

Ces technologies de 1984* dont je parlais dans cette introduction, celles que j’utilisais et celles que j’imaginais, annonçaient le futur dans lequel nous vivons. Futur dans lequel l’homo sapiens semble très mal adapté quand on observe la scène mondiale. C’était vrai en 1984. C’est encore plus vrai.

*1984. Ce roman de Georges Orwell nourrissait mon imagination autant que l’histoire de l’art.

Présentation des tableaux

J’expliquais à tour de rôle chacun de mes tableaux, en lien avec l’évolution de l’imagination des artistes au XXe siècle. Ces productions avaient un caractère didactique tout en reflétant ma singularité : mon style, ma signature comme on dit.  

Mon propos, portait surtout sur la vue, la vision, la télévision, la visualisation, la mémoire, les technologies, le cerveau et les sens. Je parlais des diverses lunettes avec lesquelles on peut observer les divers niveaux d’organisation de la vie. L’influence de Henri Laborit était présente.

Les 12 tableaux, recouverts d’un rideau blanc ou noir, que je dévoilais à tour de rôle, étaient reliés entre eux par l’utilisation du miroir. Ce matériau m’attirait pour sa fragilité, le défi technique des coupes, ses jeux de reflets de l’environnement ainsi que par les questions qu’il provoque dans une réflexion sur l’identité. À l’époque je n’avais pas encore entendu parler du concept des neurones miroirs découvert par G. Rizzolatti au début des années 1990. Théorie appelée à évoluer sans doute. 

Le 12e tableau : La Dernière Scène

Le dévoilement de la Dernière Scène était en quelque sorte le dénouement de la performance. Les participant(e)s ont joué le jeu et l’on a partagé le vin dans un rituel qui s’inscrit dans la mémoire collective de la civilisation gréco-romano-judéo-chrétienne. Surprenant pour une mécréante ? Non, pas vraiment. 

« C’est l’esprit qui voit et qui entend. » —Montaigne

La formule f = cp

Un autre élément particulièrement significatif dans mon « processus de recherche artistique », si on peut dire, fut la création de la formule f = cp.  Cette formule était en quelque sorte un pied de nez amical à Albert Einstein car ses découvertes sur la relativité ont largement bouleversé la conscience mondiale sur les plans de l’énergie, de l’espace, du temps et sur la notion de Dieu. Était-ce un bien ? Était-ce un mal ?  Quoi qu’il en soit, l’homo sapiens était rendu là dans son évolution et j’observais que les civilisations terriennes avaient perdu le cap de la survie. Hélas, comme il n’y a qu’une minorité des sept milliards  et plus de terriens qui  comprennent quelque chose à l’évolution, aux mystères de la vie et aux Lois de l’énergie, j’avais donc eu  l’idée d’inventer une formule démocratique pour les pauvres sorciers et sorcières qui manquons de repères pour nous situer dans l’évolution.  

À partir de cette formule, imaginée en créant le tableau,  j’ai demandé aux participants et participantes de trouver des mots pour l’expliquer. Le public a joué le jeu et j’ai reçu de nombreuses interprétations. Rien de plus démocratique que de s’inventer sa propre formule magique. Juste pour rire.

Photos du public

Un troisième aspect de l’événement qui m’importait c’était de prendre des photos des personnes qui osaient se présenter chez Vénus pour Voir l’entendre. La performance en arts visuels joue sur la notion de regardé/regardant/participant. Il est coutume de conserver des photos pour mémoire car il s’agit d’un moment d’arrêt dans lequel l’artiste interpelle momentanément le public. Un moment d’arrêt comme une bouteille lancée à la mer. L’invitation avait été lancée dans les médias locaux et la performance devait être présentée qu’une seule fois comme c’est généralement la coutume en arts visuels. Il suffisait de réserver à la librairie la trentaine de places disponibles. À ma grande surprise la demande fut telle que j’ai répété 3 ou 4 fois l’événement.Le nombre de joueurs et joueuses dépassait mes attentes. J’ai donc continué mon jeu d’artiste sur cette lancée.

1984 -1er anniversaire de la librairie Vénus : Lancement du RIRE

Un an déjà !

Année bien remplie à la librairie et au Collège. Je continuais à suivre les nouveaux courants de pensée pseudo-scientifiques et scientifiques. Celui qui émergeait c’était la santé par le Rire qui se développa d’abord grâce au médecin Patch Adam* (encore un médecin) et au journaliste Normand Cousin*. J’ai alors réfléchi sérieusement au concept et j’en suis devenue une adepte. C’était facile pour moi, car ma mère m’a mise au monde dans un éclat de Rire, en jouant un tour à sa nouvelle voisine, de Ville St-Michel, qui tenait absolument à assister à l’accouchement du 8 ème enfant de Cécile. De connivence avec ma mère, la sage-femme envoya la voisine chercher quelque chose chez elle et ma mère* en profita pour m’expulser dans un éclat de rire de sorcière : le rire orgasmique de la délivrance. Voilà pourquoi j’étais en quelque sorte prédestinée à célébrer le premier anniversaire Vénus dans la joie et le Rire avec tous ces nouveaux amis et nouvelles amies.

* Patch Adam : Sa vie et son projet donnèrent lieu à un livre biographique dont fut tiré en 1998 le film romancé « Docteur Patch » avec Robin Williams.
* Norman Cousin : Comment je me suis guéri par le rire. Petite bibliothèque, PAYOT.
* Ma sainte mère, Cécile Forget, était membre active du tiers-ordre de Saint-François d’Assise reconnu pour sa joie de vivre, son amour de la nature et son rire. Saint-François est le patron des écologistes.

C’est la fête !

Audette surgissant avec l’énorme gâteau. ( Photo : Claude Gauthier )
Irène en pleine performance. ( Photo : Claude Gauthier )
En compagnie de Anne. ( Photo : Claude Gauthier )

Lancement du RIRE

Pour ce joyeux anniversaire nous avions invité quelques amis et amies à exposer dans la petite salle qui servait aux expositions. Afin de démontrer le sérieux du RIRE, je me rappelle que j’avais conçu  l’acronyme RIRE pour signifier le Réseau International de Recherche sur l’Énergie. Une fille fait ce qu’elle peut !

« C’est par le rire que le monde redevient un endroit voué au jeu, une enceinte sacrée, et non pas un lieu de travail » — OCTAVIO PAZ

« L’homme est un animal qui sait rire, et qui fait rire » — HENRI BERGSON

Le Rire au département des arts

Au Collège, notre département était très dynamique et revendicateur. Nous étions toutes et tous très occupés à monter nos cours et à les perfectionner. À l’époque, il n’y avait pas d’internet et d’ordinateurs, je devais monter  le matériel pédagogique que je sélectionnais, classais, faisais transférer de support en suivant l’évolution technologique et sociale (super 8, Beta, VHS). Je me souviens des vieux films de l’ONF qui cassaient toujours. Le service de l’audio-visuel me produisait sur demande des diapositives à partir des livres  et revues. Ce service copiait toutes les émissions télévisuelles que je désirais : une mine d’or pour mes cours. Je me souviens d’être venue à Montréal chercher les reproductions les plus significatives pour l’histoire de l’art, faute de voir les originaux dans les grands Musées. Comme la plupart des départements on s’est adaptés progressivement aux nouvelles technologies tout en organisant régulièrement des expositions à la Galerie d’art du Cégep et au Musée Régional de Rimouski ainsi que des voyages pédagogiques. 

Les enseignants étaient passionnés par leur travail qui prenait à l’occasion la forme d’un jeu compétitif quand il s’agissait de la répartition des tâches. Heureusement le syndicat et les aînés s’occupaient des retraites. Ainsi, nous avions l’esprit libre pour nous consacrer à la recherche et à l’enseignement.

Notre enseignement avait des ressemblances avec l’École du Bauhaus allemand. Autant par le sérieux et la liberté que par le travail de recherche personnelle. Les élèves expérimentaient de nombreux matériaux et techniques et ils étaient stimulés à suivre leur propre voix, tout en étant bien informés du système des arts. Comme au Bauhaus, nous aimions bien fêter au 5étage. J’ai retrouvé ces photos d’une soirée où nous avions fait un concours de sculptures vivantes. Dans ce temps-là, on savait s’amuser et se respecter malgré nos différences. La conscience de l’aspect ludique et poétique de la vie fait partie de la démarche artistique, me semble-t-il. Cette conscience n’enlève pas la dimension tragique, elle l’allège par son aspect dérisoirement comique. 

Le club international du rire

Certificat de formation d’animateur/trice de Rire Libre ou Yoga du rire.

On dit l’idiot rit, le sage sourit. On dit tant de choses. Je ne sais pas. Je pense que la vie est un paradoxe ou le rire et le pleure sont l’envers et l’endroit d’un spectre émotif qu’on apprend à maîtriser au fil d’une vie. Il est facile de passer de l’un à l’autre. Flaubert disait qu’il suffit de se regarder pleurer dans un miroir pour éclater de rire. 

Le mouvement lancé par Patch Adam et Norman Cousin fit de nombreux adeptes et les thérapies par le Rire, le yoga par le Rire, la santé par le Rire, la Rigolothérapie sont devenus à la  mode ainsi que l’histoire, la philosophie, la sociologie, la psychanalyse, l’anthropologie, l’éthologie  du Rire. Et bien sûr, la sémiologie du Rire. Une vraie science du Rire se mettait en place car le Rire est une chose sérieuse qui possède une riche matière à décrypter. C’est dans ce contexte que fut fondée  l’École nationale de l’humour en 1988 où l’art et l’industrie du Rire se conjuguent  pour un bien-être social en  cherchant à s’adapter à l’évolution des mœurs de la société. Le Rire s’est institutionnalisé par ses nombreux festivals, Gala, Musée, etc. Bref par la place qu’il occupe dans les médias locaux et internationaux. Il y a matière à rire et à pleurer. Selon le point de vue. Le Rire est devenu une marchandise que Marx n’a pas analysée, me semble-t-il. Au Québec, à lui seul, le Groupe Juste pour rire génère des retombées économiques de 84.4 millions.  (La Presse 2017)

Finalement en 2004, j’ai voulu en avoir le cœur net et j’ai obtenu un certificat du Club de rire international du Québec pour en conclure que c’est habituellement plus facile de rire en groupe que de rire seul ou seule. Tout simplement parce que le rire est communicatif comme le bâillement. Serait-ce à cause des neurones miroirs ? Notion élémentaire, sans doute que beaucoup de québécois et québécoises ont compris cela, sans suivre de cours. 

Il faut reconnaître que les gens ont besoin de rire et que cette émotion universelle partagée, cet exutoire pour divers groupes sociaux et nationaux est parfois partagée pour une bonne partie des terriens et terriennes. La capacité de rire peut aussi bien être un signe d’intelligence que d’idiotie, de pouvoir que de soumission. Quoi qu’il en soit, c’est bon pour la santé et j’avoue que les techniques du rire sans raison peuvent amener à développer l’humour. Certaines personnes ont besoin de pratiquer en groupe. Pourquoi pas ?  Les techniques du rire sans raison pourraient sans doute devenir très rentables dans le système de santé. Il me semble que l’homo sapiens aurait tort de s’en passer, d’autant plus qu’une armée d’experts du Rire se bousculeront au portillon.   

De là, à militer pour en faire une religion mondiale qui mènerait à la paix mondiale, cela me fait plutôt sourire. Quoique…

« Seul ceux qui savent prendre à la légère ce que les gens prennent ordinairement au sérieux, peuvent prendre au sérieux ce que les gens prennent ordinairement à la légère ». —TCHOUANG-TSEU

Le Rire et le sérieux
 « Bien sûr, il existe un totalitarisme insupportable du sérieux. Mais que le rire soit lié au principe même de civilisation humaine (…) ne prouve pas ipso facto que le sérieux soit toujours barbare. Il existe aussi un totalitarisme soft du rire, très insidieux. Il faut parfois du sérieux, ne serait-ce que pour redonner au rire sa vraie mission anthropologique, qui est de mettre le réel à distance. Mais pour mieux le voir.»
La civilisation du rire, p.320 op.cité

Peut-on Rire de l’art ?
« L’art équivaut à un rire hyperbolique – un rire qui serait beaucoup plus puissant que tous les rires effectifs, au moins virtuellement ; d’un autre point de vue, c’est un rire raté et avorté. Pour la même raison, on peut aussi bien rire de l’art moderne ou jouer sérieusement le jeu de l’émotion esthétique. Une attitude n’est pas moins légitime que l’autre : le rire n’est pas nécessairement  le stigmate (honteux) de l’ignorance, de la bêtise ou du mépris, ni le sérieux celui de la banale soumission aux codes culturels. Le rieur n’est pas un amateur qui n’aurait pas compris la réalité des enjeux artistiques, le non-rieur n’est pas non plus un pisse-vinaigre incapable de relâcher la bonne énergie du rire. Mais, à la croisée de l’hilarité et de l’adhésion émotionnelle, l’art nous ramène tous à la condition de l’âne de Buridan : notre seule obligation, rappelle la fable, est de choisir résolument l’une des deux voies. Lucidement ou en toute inconscience, peu importe ; et qui peut vraiment être sûr de ses motivation ? »
La civilisation du rire, p.231 op.cité

Épilogue

Les sorcières de Rimouski sont les femmes que j’ai rencontrées au Cégep, à la librairie Vénus, à la Maison des femmes, au Salon du livre, à l’Association des femmes d’affaires, au Club politique féminin, au Musée, au Club de tennis et dans les bars.

En 1984 le thème des sorcières était dans l’air et la grande chanson d’Anne Sylvestre « Une sorcière comme les autres », interprétée par Pauline Julien, attisait le mouvement féministe au Québec.

À Rimouski, le vent du large animait d’une douce folie le désir de création, d’expérimentation, de recherche et d’expression, ainsi que le mouvement de libération des femmes. Heureusement, nous n’étions pas au Moyen-âge car plusieurs de celles que j’appelle les Sorcières de Rimouski auraient péri comme Jeanne d’Arc, condamnée en 1451 par l’Église de Rome à brûler vive sur le bûcher. Cette sorcière guerrière fut réhabilitée comme sainte en 1920 par la même Église. Allez savoir pourquoi ! Serait-ce l’origine du paradoxe de la sorcière : à la fois satanique et divine ?