1979 — « Une sorcière comme les autres »

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Pauline Julien

Cette chanson d’Anne Sylvestre, interprétée par Pauline Julien, marque l’époque de la quête de liberté des femmes de ma génération. C’est à Rimouski, au Québec dans le Canada, que j’ai vécu cette aventure de libération qui se poursuit à Montréal, 40 ans plus tard, dans la ville où je suis née, par hasard et nécessité. Ma petite histoire s’inscrit dans la Grande, celle qui nous a façonnés depuis la nuit des temps. Et les détours de la vie nous conduisent d’une ville à l’autre, d’une rive à l’autre, d’un pays à l’autre, d’un amour à l’autre. Les détours de la vie m’avaient amenée dans un séminaire de sociologie à l’UQAM ( avec Nicole Laurin Frenette ) à analyser la problématique de l’articulation du féminisme et du marxisme, tout en étudiant les diverses statistiques sur la situation des femmes dans le monde. Ouf ! J’avais aussi participé à la rédaction d’un article, publié en France intitulé Le mouvement des femmes au Québec pour lequel j’ai rencontré Pauline Julien. J’ai aussi participé à la création d’un recueil d’associations de femmes au Québec, à caractère féministe. C’est par ce recueil que j’ai découvert le groupe L’autre Parole, auquel participait la théologienne Monique Dumais, professeure à l’UQAR. J’étais sensibilisée intellectuellement à la question du féminisme et motivée à suivre le mouvement de libération des femmes qui m’apparaissait légitime et très dynamique à Rimouski. J’en ai eu la confirmation lorsque j’ai vu la création collective du 8 mars, à la salle Georges Beaulieu du Cégep, dans laquelle Esther Morrissette jouait un personnage très déluré et fascinant. La salle était bondée, il y avait de l’effervescence dans l’air. J’ai vite compris que Rimouski se conjuguait au féminin en liberté.  J’étais chez moi comme un poisson dans l’eau. Comme disait Nancy Huston c’était l’époque du féminisme joyeux, bariolé, vivant et païen. Il faut dire que la scandaleuse pièce de théâtre « Les fées ont soif », censurée et présentée à l’automne à Montréal, avait ouvert les vannes de la créativité des femmes : La vierge, la mère et la putain venaient de sauter en éclats. Il faut aussi se rappeler que la pièce de théâtre La Nef des Sorcières avait déjà créé quelques remous en 1976.

1979 — C’est le début d’un temps nouveau

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Au début le groupe de féministes auquel je m’associais naturellement mettait sur pieds Le Centre des femmes du Bas-St-Laurent devenu La Maison des femmes de Rimouski puis Centre-femmes de Rimouski. Dans ce rassemblement de femmes de divers milieux, j’ai délaissé les livres théoriques de Simone de Beauvoir, Julia Kristeva, Élisabeth Badinter, Marilyn French, etc. pour voir et entendre les problématiques réelles du mouvement des femmes. Les tensions étaient fortes entre les féministes/lesbiennes plutôt radicales qui assumaient un certain leadership et les autres femmes majoritairement hétérosexuelles qui ne voyaient pas la nécessité d’associer le lesbianisme à la cause. Il y avait débat et c’était vivant. Autre problématique, fallait-il oui ou non accorder une place aux hommes dans le mouvement des femmes? La question n’était pas que théorique : un homme pouvait-il donner le cours d’initiation à la mécanique automobile ?  Je ne me souviens même pas de la conclusion de ce débat puisque que cette question ne me touchait pas du tout.  J’avais d’autres chats à fouetter. À l’époque, nous étions loin de discuter passionnément de la gestation pour autrui, du transgenrisme, de l’utérus artificiel, de la place des fillettes soldates dans de nombreuses armées du monde, des femmes dans l’Armée canadienne ou des femmes robots, avec ou sans voile. Nous étions loin du mouvement #MeToo mais nous occupions les ondes. C’était le début d’un temps nouveau comme le chantait René Claude. Depuis cette période, certaines structures sociales qui semblaient stables furent ébranlées par la mondialisation, le féminisme et les technosciences.  Sans parler de la crise socio-économico-environnementale. Par conséquent cette mutation globale de l’homo sapiens est un projet sans fin et chaque génération doit jouer sa partition, le mieux qu’elle le peut, me semble-t-il. J’ai joué la mienne passionnément grâce, entre autre, à Nicole Vignola que j’ai connue à la La Maison des femmes de Rimouski. Cette organisatrice hors pair, était très engagée pour l’émancipation des femmes, tant sur le plan politique qu’artistique. J’y reviendrai.

1979 — Le syndicalisme au féminin

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Audette Landry, présidente du syndicat des enseignants et enseignantes du Cégep de Rimouski

Rimouski bouillonnait d’artistes, de scientifiques, de sportifs, d’amoureux de la mer et de la nature ainsi que de nombreux philosophes barbus. Quant aux femmes, elles étaient partout. Évidemment, il y avait des clubs de gars, c’est bien normal car il y avait aussi des clubs de filles. Tout ce beau monde, que j’ai appris à connaître et à aimer au fil des ans, se rencontrait dans les restaurants, bars et cafés pour discuter de tout et de rien. Surtout de tout. La théorie du Tout était à la mode. Peu à peu je me suis fait des amis et amies dans le Cégep. Je fréquentais le café/restaurant La Cathédrale et le Bar O. Plus tard ce fut le Mix. À ma grande surprise ces lieux étaient des place publiques ou circulaient les potins et informations de la ville. C’était nouveau, pour l’urbaine que j’étais, habituée à l’anonymat. Des professeurs que je côtoyais, Rolande Ross (décédée), Michelle Naud, Michelle Therrien et Jean-Yves Saint-Pierre devenus des amis depuis, vantaient le leadership de leur ex-présidente du syndicat, alors trésorière de la FNEEQ, installée temporairement à Montréal. La réputation de madame Audette Landry la précédait. On disait d’elle qu’elle était vraiment « in » pour une ancienne religieuse des Dames de la Congrégation Notre-Dame. Elle encouragea plusieurs enseignantes à s’engager dans le syndicalisme, sans que l’on parle de quota. La question des quotas ne se posait même pas et les femmes étaient présentes sans complexe et souvent très éloquentes au micro. Je pense, entre autres, à Christiane Jobin et à Audette Landry.  J’ai été très fascinée de l’aisance avec laquelle Audette expliquait au tableau, noir ou vert, la formule mathématique provinciale de répartition des tâches. Peu de profs comprenaient ces formules mathématiques qui donnaient beaucoup de fil à retordre dans de nombreux départements. Il faut savoir que les tâches oscillaient avec le nombre d’élèves et qu’il fallait souvent trouver des stratégies syndicales pour sauver ou éliminer des profs ou des départements. Ces négociations permanentes furent souvent source de tension, surtout dans un petit département comme le nôtre qui comprenait plusieurs disciplines : cinéma, musique et arts plastiques en cours complémentaires  ainsi qu’un programme spécialisé en arts plastiques (arts visuels). J’ai vu avec le temps les jeux des alliances et des mésalliances, les jeux de coulisse, les jeux d’influence et les manigances ainsi que les jeux à somme nulle et non nulle. Et bien sûr, le jeu des bons sentiments. J’imagine que ces jeux sont observables, de tous temps et en tous lieux.

1979 — L’art action

Groupe de Femmens en action
Groupe de Femen en action

Au travers nos nombreuses et joyeuses fiestas, nous réfléchissions sérieusement aux « bonnes actions » à entreprendre pour la cause des femmes et de la Vie sur la planète terre. Audette et moi avons soutenu et encouragé une bonne amie, jeune étudiante en Droit de Montréal, dans une action artistique. Fleurette Boucher, surnommée Flo, était une touchante jeune fille révoltée par toutes les injustices et le déferlement de la pornographie, dans un contexte où Le Conseil du Statut de la femme avait fait de la pornographie son cheval de bataille. Cette chère Flo voulait absolument manifester son indignation par  un délit qui consistait à peinturer de couleur rouge, à la tombée de la nuit, une vitrine à caractère pornographique, en plein Rimouski. Nous avons eu chaud mais notre trio a réussi. Fleurette est décédée quelques années plus tard d’un cancer. Pourtant je me souviens d’elle comme si c’était hier, la magie de la mémoire ! Dans cet acte de vandalisme qu’on pourrait associée à la notion de désobéissance civile nous avions chacune nos motivations. Quant à moi, j’avais le discours pour expliquer au juge qu’il s’agissait d’une œuvre d’art engagé qui se situait dans le courant Art Action.
Sans m’en rendre compte, mon style de création prenait forme. C’est ainsi que Wikipedia définit ce courant artistique qui remonte au début du XXe siècle: « L’Art action utilise comme matériau le corps, le temps et l’espace.  Les caractéristiques formelles selon les historiens et les théoriciens de l’art action contemporain sont la présence de l’artiste, l’immédiateté ici et maintenant, le contexte de présentation de l’action,  la dématérialisation de l’œuvre et le spectateur devenu acteur. Qu’il soit orchestré ou improvisé, subtil ou direct, l’art action est un aspect vivant, parfois provocateur et inconfortable, de l’art d’aujourd’hui. » L’exemple actuel le plus connu dans ce courant, ce sont les provocatrices Femen dont la forme artistique divise les féministes.