1980 — La guerre des idéologies

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J’ai remplacé Serge Légaré comme déléguée à la Coordination provinciale en histoire de l’art. La plupart des rencontres annuelles avait lieu dans la région de Québec. La principale tâche de cette Coordination consistait à repenser non plus le corpus historique des cours mais surtout les théories et grilles d’analyse des œuvres d’art. Grâce au rattrapage éducationnel créé par le Réseau de l’Université du Québec, les théoriciens et théoriciennes de l’art étaient de plus en plus nombreux et nombreuses. Les diverses théories ou grilles d’analyses avaient leurs supporteurs et leurs supportrices. De vifs débats et jeux de coulisses finirent par un consensus pacifique. Après plusieurs années d’échange, toutes les approches fûrent considérées valables: marxiste, féministe, formaliste, psychanalytique: « Y en avait pour tout le monde ». C’était sans doute la meilleure solution. De plus,  rien n’empêchait de les superposer ces fameuses grilles. Ceci étant réglé, l’étape suivante fut la compétition pour le lexique et le langage visuel le plus pertinent. Historiens et plasticiens se relançaient à qui mieux mieux. Chacun produisait ses documents. Qui aurait les meilleurs et les derniers mots pour décoder une œuvre d’art ? Il y avait du pain sur la planche pour de nombreuses années. C’est à l’une de ces Coordination en histoire de l’art que j’ai rencontré Arlette Blanchet, du MAC. J’ai eu la chance de profiter de ses connaissances et de son expertise en histoire de l’art durant de nombreuses années.

1981 — Des idées aux petits pâtés

MAINMISE et LA VIE EN ROSE
Mainmise et La Vie en Rose

À deux pas du Cégep, du côté de la rue Saint-Louis, l’ancien Institut maritime avait été transformé en Regroupement des organismes communautaires et culturels ( ROCC ) avant de devenir l’actuelle Hôtellerie Omer Brazeau. Le Centre réunissait de multiples organismes de gauche, féministe, écologiste, granola, artistique… On y trouvait entre autre, une radio communautaire et un restaurant végétarien tenu par un charmant chef, membre de la Fraternité Blanche Universelle. C’est souvent là que nous nous rencontrions, travailleuses et chômeuses, en vue de partager nos connaissances et réfléchir à la création de projets pour les femmes en chômage. Après la défaite du référendum pour l’Indépendance nationale, il fallait agir et chercher une voie inspirante à l’action. La revue contre-culturelle, d’inspiration californienne, Main-mise avait fait son temps. Fondée en 1970 elle avait inspiré un mouvement orienté vers la libération de l’individu. Par la suite, la revue Le Temps fou plus politisée, avait permis l’émergence de la revue La vie en Rose, qui donna  un immense dynamisme au mouvement des femmes. De son côté,  Jacques Languirand donnait le ton du Nouvel Âge au Québec. Il abordait tous les courants alternatifs mondiaux : massages, boudhisme, zen, méditation, yoga, écologie, alimentation naturelle, santé, phytothérapie, physique quantique, Gaïa, psychologie, pensée positive, thérapie, pouvoir de la pensée, agriculture biologique, voyages initiatiques, spiritualité, science, etc. Ce ton qui dura 40 ans à la radio de Radio-Canada a fini en queue de poisson car l’auréole du personnage fut ternie à la fin de sa vie. (Cette façon que nous avons au Québec de tourner radicalement le dos au passé pour y cacher sa part d’ombre me déconcerte. Ce purisme inquisiteur qui cherche à se montrer plus blanc que blanc remonte occasionnellement à la surface.) Donc, revenons à l’idée principale qui était de créer des emplois pour les chômeuses. Nous acceptions toutes les suggestions. Euréka ! L’idée qui rallia toutes les filles fut de produire des petits pâtés végétariens. Par hasard, peu de temps après cette merveilleuse idée, l’impulsive Audette Landry tomba sur la vente d’une cuisinière commerciale pour la modique somme de mille dollars. Une aubaine !  Il n’y avait qu’une seule ombre au tableau. Aucune d’entre nous n’avait pensé demander s’il y avait des femmes motivées à cuisiner les petits pâtés végétariens. Personne ne s’est présenté parmi les chômeuses sur les postes disponibles et cette leçon de vie, prise avec humour, ouvrait l’imaginaire à d’autres projets toujours orientés vers la santé des femmes, l’écologie et l’agriculture biologique. La santé des femmes nous semblait prioritaire car les effets sur le bien commun et la collectivité allaient de soi.

Pâtés F

1982 — Le féminisme dans l’air du temps

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The Dinner Party de Judy Chicago

Par un concours de circonstances et parce que le féminisme était dans l’air, j’ai été invitée à participer à un panel au Musée Régional de Rimouski, sur l’art des femmes.  Les historiennes de l’art France Lévesque et Arlette Blanchet du MAC étaient mes copanelistes. C’est dans ce contexte d’effervescence du féminisme en arts que Arlette Blanchet conservatrice au MAC assura la gestion et le commissariat de l’exposition Art et féminisme. Cet événement artistique avait obtenu un record d’achalandage au Musée.  On y exposait la fameuse Chambre Nuptiale de Francine Larivée ainsi que la non moins célèbre oeuvre contreversée de Judy Chicago : The Dinner Party ainsi que d’autres œuvres de femmes. Notre département avait organisé une visite au MAC pour l’occasion à caractère événementiel. Les traces de cette époque révolue sont en train de disparaître, dans les nuages et il est bon de s’en rappeler. Heureusement qu’on en garde des traces dans les mémoires de maîtrise en histoire de l’art comme celui de Catherine Melançon : La réception des expositions d’art engagé à la fin du XXesiècle au Québec : entre reconnaissance et institutionnalisation, 2010. Il faut dire que l’intellectualisation du discours sur  les œuvres d’art dans un langage hyper spécialisé allait créer un fossé entre les personnes qui jouaient librement avec ce langage et les autres. Cette expertise fait partie du jeu que certaines personnes prennent très au sérieux pour se distinguer de la masse ( La distinction selon Bourdieu ). Ainsi, il s’est établi assez rapidement une hiérarchie de connaisseurs canadiens français à partir des années 60, dans laquelle gravite une élite qui se distingue soit par son argent ou sa culture, parfois par les deux.  Quoi qu’il en soit, la ferveur qui animait le monde des arts visuels, en général, était annonciatrice de l’importance de la civilisation de l’image qui émergeait grâce aux divers médias et technologies, toujours de plus en plus sophistiqués.

1982 — La terre de l’eau vive de Saint-Gabriel

Ferme Irène rêve d_asperges
Je rêvais d’agriculture biologique.

L’expérience de l’échec des petits pâtés végétariens, avait préparé la voie au projet suivant. La question de la saine alimentation, de la qualité de l’eau et de la protection des terres québécoises nous préoccupait et occupait les conversations de notre nouveau trio.  La nouvelle mission s’imposa. Ce fut  la culture de l’asperge biologique. Quelle belle idée ! Pierret Roy, secrétaire au bureau d’Agriculture Canada, Audette Landry enseignante en chimie et moi-même, davantage spécialiste en culture qu’en agriculture, décidons d’acheter une terre au rang Massé à Saint-Gabriel, à une quarantaine de kilomètres de Rimouski. Nous avons formé la Compagnie La terre de l’eau vive de Saint-Gabriel, rénové en partie la maisonet rêvé du futur. Cette aventure nous apporta beaucoup de joie, de plaisirs et de travail. De nombreux amis et amies ainsi que des connaissances passèrent pour fêter ou visiter. De cette période j’ai retrouvé des photos de l’anniversaire de Pierret. Le Cerf-volant fabriqué  pour l’occasion par l’artiste Gabriel Maffolini fut le clou de la journée. Sur la terre de l’eau vive, j’étais impressionnée de voir à perte de vue en direction des quatre points cardinaux. La terre possédait un grand champ de petites fraises, un ruisseau et des bâtiments à l’abandon. Il va de soi que certaines personnes nous trouvaient  flyées, pour ne pas dire folles, de nous lancer dans un tel projet. Cela m’importait peu. Mon bon ami René Marceau sociologue et sa compagne s’était bien lancé dans l’élevage des chèvres, pourquoi pas l’agriculture ? Finalement, après l’analyse de la terre par  l’agronome du Ministère de l’agriculture, le projet des asperges biologiques tomba à l’eau car la terre meuble n’était pas suffisamment profonde. De plus, il aurait fallu importer notre fumier biologique du Nouveau-Brunswick. La belle Pierret, éternelle amoureuse, abandonna le projet et fila le grand amour avec son beau berger. C’est dans ces circonstances que se dessinait le projet suivant. Plus sage ou plus fou ? À l’hiver Audette et moi réfléchissions à la suite de l’aventure. Nous comprenions que nous avions mis la charrue devant les boeufs. Un nouvel Euréka !  Une librairie qui répondrait aux besoins des femmes très attirées par une forme de spiritualité et de conscience planétaire hors des religions traditionnelles nous apparaissait la bonne idée.

1982 — Sorcellerie, spiritualité et religion

cosmos chaudron

Je me rappelle qu’à cette époque féministe j’avais la certitude que la disparition de la religion avait laissé un vide spirituel au Québec. Ce vide prenait une forme différente chez les femmes qui cherchent naturellement à trouver ou à créer du sens à la vie, alors que de nombreux scientifiques et philosophes s’opposent à cette notion de sens. C’est embêtant ! L’imaginaire spirituel féminin serait-il en lien avec le cordon ombilical qui remonte à la nuit des temps : De poussières d’étoiles au cordon ombilical, il n’y a qu’un pas à l’échelle cosmique mais un grand pas pour l’humanité. Ce récit des origines en vaut d’autres. Je réfléchissais à ces questions. Il me semblait que le rôle des femmes dans la reproduction expliquerait cette forme de spiritualité créatrice de lien social, à l’instar des religions.  Les rituels, la liturgie, les symboles et l’architecture, à partir d’un mythe fondateur, marquent l’imagination, émeuvent les sens et fascinent les esprits, tout en définissant une morale et un code social. En plus de rythmer les saisons et les rituels de passage dans la vie. C’est ce qu’on retrouve dans toutes les religions. Quant à moi je considérais et je considère toujours que les femmes auraient intérêt à se libérer de la Parole de Dieu telle qu’elle est véhiculée dans toutes les religions. Selon Einstein, la religion de l’avenir sera une religion cosmique couvrant à la fois les domaines naturels et spirituels. Une savante littérature écoféministe défendait des idées convergentes, tout en proposant le réveil de la Déesse et de la Sorcière : les deux faces d’une même médaille. Si les fictions collectives inspiratrices de tant d’œuvres d’art, savant et populaire, continuent d’alimenter l’imaginaire des artistes, au fil des siècles, c’est parce  qu’il s’agit d’archétypes fondamentaux, conscients ou inconscients, du cycle vie/mort de l’homo sapiens : naissance, sexualité, virginité, guerre, pouvoir, héros, victime, martyr, sauveur, exécution, traîtrise, résurrection, amour, sacrifice, etc. La Bible et la mythologie grecque offraient un vaste éventail d’archétypes que l’on retrouve mythifiés et théâtralisés, à sa façon, dans le christianisme. Cette religion a fait le choix historique de la représentation de l’incarnation du Dieu crucifié dont on ne peut contester le fait qu’il s’agissait d’un châtiment populaire utilisé par les romains qui avaient envahi la Palestine.  Au fil du temps, aux travers les multiples guerres et alliances, parmi les nombreuses sectes de l’époque, le christianisme s’est imposé.

Quelques siècles plus tard, l’Islam, également d’inspiration biblique, entra en compétition comme religion universelle. Toutefois, il ne faut pas penser que les religions sont les seules fictions collectives.

1982 — Laïcité et transcendance

Célébration de la Fête-Dieu à Montréal

Dès l’adolescence j’étais devenue progressivement anti-religion et anti-cléricale, comme tant d’autres québécois et québécoises de ma génération. C’est ce qui explique que j’ai fait ma large part pour ébranler l’institution catholique, en me présentant aux élections scolaires de la CECM avec mon ami Yves Archambeault, sous la bannière du Regroupement Scolaire Progressiste (RSP), peu avant mon engagement au Cégep. Le poète Jacques Godin, amoureux de Pauline Julien, m’accompagna une journée entière dans ce porte-à-porte qui dura un long mois. À court terme, le RSP visait l’exemption de l’enseignement religieux et la création des cours de morale afin de sortir les enfants athées des corridors des écoles.  Le temps des religions institutionnalisées me semblait vraiment révolu. Belle illusion de jeunesse. Le temps nous a montré que la véritable laïcité au Québec n’était pas pour demain.

Si j’avais un souhait pour l’humanité c’est qu’elle évolue consciemment vers la notion de « trans ». Pas les gras trans mais bien la transcendance, tel que pouvait l’imaginer Anais Nin : transition, transgression, translucidité, transformation, transmission, transportement, transdisciplinarité… enfin, tous les trans qui nous font évoluer au-delà du connu. Ce sont ces «  switchs » de niveau de conscience qui nous fascinent, avec leurs bons et leurs mauvais côtés.  Il faut reconnaître que la notion de « trans » s’oriente lentement mais sûrement vers le transhumanisme et le transgenrisme et autres trans que nous ne pouvons pas encore imaginer.  Plus qu’une mutation, une transmutation qui ne pouvait être imaginée à l’époque d’Anaïs Nin. Dans un contexte où les mots changent de sens et que la religion institutionnalisée perd de sa substance, je suppose que les mots  transubstantiation et transfiguration sont également appelé à un détournement de sens.

1983 — La librairie-boutique Vénus de Rimouski

TRAVAUX LIBRAIRIE
Tout fût refait dans les normes, du sous-sol au grenier.

Nous avons vendu La terre de l’Eau Vive, non sans difficultés et en septembre 1983 nous célébrions dans la joie et l’excitation l’ouverture de la librairie. La liste des diverses sections de livre fut la première tâche réalisée durant tout l’hiver. Le local en vue était l’ancien salon de coiffure Vénus, sur la rue Saint-Pierre, non loin de la rue Cathédrale, comprenant des  stationnements dans la cour. Au début, nous étions quatre filles à croire au projet, mais la difficulté c’était de trouver des actionnaires en mesure d’investir. Dans un commerce, la question de l’argent et de la comptabilité sont des réalités auxquelles il fallait faire face. Comment convaincre la Caisse Populaire du sérieux et de la rentabilité du projet alors qu’il y avait déjà deux librairies à Rimouski en plus de celle du Cégep. Finalement notre plan d’affaire a peut-être fait bonne impression mais c’est sans doute le fait qu’Audette et moi-même avions un poste permanent au Cégep de Rimouski qui fut l’argument décisif. Dès que la Caisse Populaire accepta de nous accorder le prêt, les autres obstacles se succédèrent mais l’énergie créatrice était au rendez-vous. Nous avions le cœur à l’ouvrage et il fallait trouver un entrepreneur qui accepte de rénover un vieux bâtiment. Tous hésitaient à cause des nombreuses surprises qu’on risquait d’y trouver. Et Dieu ou la Déesse sait qu’on en a trouvées. Finalement, un monsieur Morneau accepta courageusement le défi et nous avons passé l’été dans les travaux tout en prévoyant la publicité, la comptabilité, l’entretien des bâtiments, le système d’alarme, le système de classement des livres, les relations avec les fournisseurs et avec la clientèle, etc. Il faut dire que durant cette période intense de créativité, le rapport au temps s’était modifié. Fini les journaux et la télé. Nous savions que nous serions informées s’il y avait une nouvelle urgente et importante. Durant l’été, j’ai fait la tournée des maisons d’éditions et de distribution à Montréal avec Esther Morrissette qui a généreusement travaillé comme bénévole durant les premiers mois de l’ouverture de la librairie. La réponse de Rimouski et du Bas-Saint-Laurent fut positive. Cette librairie, qualifiée d’ ésotérique, au début répondait à des attentes qui s’ajustèrent en fonction de la demande. Avec le temps la librairie est devenue agréée générale.

1983 — L’aventure du livre

Audette Landry et Irène Durand
Audette Landry et Irène Durand

Certaines sections de livres de notre librairie disparurent et d’autres s’imposèrent. Par exemple les sections des livres féministes et informatiques ne se vendaient pas, par contre les nombreux groupes spirituels comme les Rose-Croix et la Fraternité Blanche Universelle furent comblés. Castenada et Cie attiraient d’autres types d’individus. L’apparition de la revue Le Guide des Ressources alimentait d’autres courants, dont le fascinant Baghan Sree Rajneesh qui fit beaucoup d’adeptes au Québec. Bref, « Y en avait pour tout le monde ». Mythes et légendes, arts martiaux, Reiki, spiritualité, alimentation, développement personnel, force du mental, spiritisme, tarot et tout ce dont j’ai parlé précédemment. Je n’ai pas mentionné l’astrologie qui semble attirer davantage les femmes. Attirance qui relève du mystère pour moi. C’était aussi l’époque de « Écoute ton corps» et « Je suis Dieu» au féminin. Je mentionne surtout des livres, mais c’était plus qu’une librairie : une véritable caverne d’Ali Baba. Quant à moi, mes coups de cœurs furent la découverte d’Alexandra David Neil, Lou Andrea Salomé, Henri Laborit, Hubert Reeves, Ilya Prigogine et tant d’autres, ainsi que L’art du Thé et le Jeu de Go.  Grâce à la complicité du milieu, dont madame Lise Bonnenfant de Radio-Canada, qui trouvait sans doute notre projet sympathique, la librairie a survécu.  Celle-ci et notre salon, à l’étage, devenaient des lieux d’échanges, de salons littéraires, de fêtes et d’actions fantaisistes. Ainsi, la Librairie-boutique Vénus  devenait le lieu de rencontres des sorcières des temps modernes. Le temps était mûr pour que je poursuive mes recherches artistiques.  J’y pensais.

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Que de belles conversations, au dessus de la librairie, avec toutes ces femmes vives et allumées dont Christiane Jobin, Lise Labrie, Arlette Blanchet, Marie-Christine Landry, Marie Bélisle, Micheline Carrier, Michelle Therien et tant d’autres créatrices.

 

1984 — Bible et fictions collectives

Iréne Durand, Esther Morrissette et Robert Michaud
Irène Durand, Esther Morrissette et Robert Michaud UQAR

En retrouvant cette photo, j’ai été très surprise d’y voir mon professeur de Bible Robert Michaud ainsi que Esther Morrissette. Maintenant je me souviens. Je continuais de me perfectionner en histoire de l’art occidental. Comment comprendre la peinture, la sculpture, l’architecture, les arts décoratifs, sans comprendre l’origine des mythes fondateurs et archétypes auxquels ils ont donné naissance ? C’est avec l’éminent spécialiste de la Bible, l’abbé Robert Michaud que j’ai fait cette initiation biblique à l’UQAR. Une belle rencontre avec un grand humaniste. Il avait développé un système de pensée qui tournait autour de l’idée que les sociétés adaptent et adoptent les cultures religieuses. Adapter et adopter, deux notions à prendre en considération dans l’étude des religions, mythes, légendes et archétypes. Un exemple récent dans l’histoire de la chrétienté : en 1950 le pape Pie XII, a imposé le dogme de l’Assomption de Marie au ciel. Ainsi, l’Église s’adaptait à la montée du féminisme dans le monde et au fait que la croyance populaire à la Déesse-Mère était toujours vivante. Il est amusant de savoir que le dogme précise que Marie est montée au ciel par l’intercession divine alors que son fils est monté tout seul comme un grand. Incroyable !

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L’Assomption de Marie au ciel.

1984 — La querelle des iconoclastes

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La Madone et l’enfant Jésus

Mon intérêt pour la Bible était canalisé vers la représentation ou non des divinités, leur transformation, leur réappropriation et leur évolution stylistique, ainsi que les lieux de culte qui leur étaient dédiés. On connaît bien les représentations des divinités depuis la préhistoire, notamment chez les égyptiens et les grecs, alors qu’une tribu d’Israël, qui deviendra le peuple du Livre, imposait l’interdiction de représenter la divinité « irreprésentable », ce qui permettait d’éviter l’idolâtrie. Ce bref raccourci biblique met en perspective le fait que le principe de « non représentation » fut conservé de façon dominante dans le Judaïsme et l’Islam. Il s’en fallu de peu pour que le christianisme suive cet interdit. Le combat théologique fut très sérieux car ce principe de « non représentation » n’était pas partagé par tous les religieux en haut de la hiérarchie chrétienne et orthodoxe. C’est ce qui explique que la querelle des iconoclastes ait déchiré l’Empire bysantin aux VIIIe et IXe siècle, après les querelles sur la nature de Dieu.  Les iconodules (iconophiles) ont fini par gagner ce grand débat idéologico-théologique. Je vous épargne tous les détails sur la dimension pédagogique, économique et magique de l’icône qui se perpétue de façon traditionnelle dans les pays de culture chrétienne orthodoxe. Ce schisme nous montre qu’il n’est pas facile de s’entendre, quel que soit notre place dans la hiérarchie, lorsqu’il s’agit de parler de Dieu, de le montrer, de le démontrer, ou simplement de l’évoquer. Comme en politique, certains mots soulèvent des passions incontrôlables parce qu’il est question de POUVOIR.